mercredi 10 novembre 2010

Volapuk bancaire

Quand j'étais petit (je veux dire plus encore qu'aujourd'hui), j'adorais recevoir du courrier. Je crois d’ailleurs pouvoir généraliser à beaucoup d’enfants cet enthousiasme devant l’enveloppe timbrée à son nom, enthousiasme éphémère puisqu’avec l’entrée dans l’age adulte apparaît ce courrier qui n’en mérite pas le nom, ces ersatz de lettres qui te donnent des nouvelles non pas de tes proches, mais de tes créanciers. Et je connais peu de gens que la réception d’une facture ou d’une relance pour s’abonner au Monde avec une économie de 33% et un réveil en cuir offert emplit d’une exaltation similaire à celle de Barnabé, 8 ans, recevant une lettre de sa mamie pour son anniversaire.

Troquer cette joie juvénile pour une indifférence blasée à l’égard du courrier me semble d’ailleurs un bien meilleur marqueur d’entrée dans l’age des responsabilités que, par exemple, la calvitie. Je dis ça au hasard, évidemment.

Pour ma part, n’étant entré dans l’age des grandes personnes que du bout des orteils, je suis partagé : les enveloppes « connues » - le loyer, le relevé de compte, la relance mensuelle pour que je donne des sous à la Croix Rouge - m’indiffèrent désormais en digne adulte que je suis ; en revanche, toute enveloppe non-identifiée me ramène à mes jeunes années et c’est avec une précipitation fébrile que je décachette les lettres mystérieuses. Avec au bout, souvent, la cruelle désillusion d'une pub ou d'une facture mieux déguisée que les autres.

La semaine dernière, un courrier de ce type est arrivé : enveloppe grand format non siglée à une date ne correspondant à aucune échéance des impôts ou de mon abonnement à la gazette du cheval d’arçon, typiquement le genre de lettre qui m’intrigue et me fait gravir mes escaliers un peu plus vite pour jeter mon sac par terre et la décacheter. Donc je gravis, je jette, je décachette, et je tombe sur…une lettre de la Société Générale.

Déçu, je m’apprête à poser le courrier sur le tas « courrier non lu qui ne sera jamais lu », dont le destin est de finir à la poubelle après six mois d’exhibition sur la table de mon salon, lorsque pris d’une inspiration subite, je me lance dans la lecture de la première page.

Monsieur, (déjà j'aime pas trop quand on m'appelle Monsieur)

Au titre de l’épargne salariale mise en place dans votre entreprise, [Lililii](attends, je tiens à ma vie privée), vous détenez en date du 30 septembre 2010 des parts dans le compartiment suivant du FCPE ARCANDIA géré par Société Générale Gestion (S2G) et dont le dépositaire est Société Générale : ARCANDIA Sécurité

(là je me dis : putain, j’ai des PARTS dans un FONDS. Ça sonne milliardaire, ça, non ?)

Afin de rendre la structure du fonds ARCANDIA plus lisible, le Conseil de Surveillance du fonds a été informé, et le cas échéant a adopté, au cours de sa réunion du 29 juin 2010 et sur proposition de la société de gestion, plusieurs modifications, dont les principales caractéristiques vous concernant sont les suivantes :

ARCANDIA Sécurité : Ce compartiment devient nourricier du fonds maitre AMUNDI TRESO ISR. En conséquence, il sera investi en permanence et en totalité dans le FCP AMUNDI TRESO ISR, de même classification que le compartiment.

(Bon t’es gentil mais je m’en fous, moi, de vos histoires de nourrices et de maîtres, je veux juste savoir combien de millions j’ai)

Nous attirons votre attention sur le fait que les derniers ordres sur les fonds absorbés seront exécutés sur la valeur liquidative du 15 novembre 2010 et que les demandes de rachat à prix plancher sur les fonds absorbés non exécutées sur la valeur liquidative du 15 novembre 2011 seront annulées

C'est là que j'ai laissé de côté ma soif vénale de millions compartimentés pour apprécier à sa juste mesure ce chef d’œuvre de poésie financière. Sérieusement, quelqu’un comprend ? Je veux dire, grammaticalement je saisis bien la structure de la phrase, mais elle n’éveille en moi qu’un néant trouble, un peu comme si j’essayais de lire un traité de physique quantique devant un match de foot.

Ça part pourtant d’une bonne intention, ils veulent «attirer mon attention» sur un truc certainement important, puisqu'ils m'envoient un gros courrier et qu'ils m'appellent «Monsieur». Mais pourtant, malgré mes efforts, mon attention n’est pas attirée : elle se débat même vigoureusement pour que je la laisse se focaliser sur une BD, un mail, une mouche qui vole, ou même sur ma vaisselle, mais pitié pas ça.

Et je culpabilise, de ne pas comprendre. Mais après cet instant de culpabilité, une sourde interrogation me traverse (de à ) : à qui s’adresse ce charabia ? Le monsieur qui m’envoie (fort gentiment, et je l’en remercie) ce courrier s’attend-t-il vraiment à ce que je comprenne son jargon de banquier ?

La haute estime dans laquelle je tiens nos amis financiers m’incite bien sûr à penser que tous les efforts ont été fait pour simplifier et clarifier cette communication, et que son but premier est de m’informer, en tant que client respectable et respecté, de tout ce qui pourrait être important pour moi, mon bonheur et l'épaisseur insigne de mon porte-monnaie. Mais malgré tout, je doute. Je doute, et je me demande si cette imbitable prose n’est pas volontairement opaque, comme pour mieux me dire « on gère, ne t’en occupe pas, c’est pas de ton niveau ». Et me dire ça, à moi qui ai un BAC+5 et des copains contrôleurs de gestion, (bon, pas beaucoup, rassurez-vous) , je suppose que ça revient à faire un gros doigt à beaucoup d’autres.

Non que je découvre la proche parenté de la communication financière et de l’ésotérisme, mais c’est la première fois que je me la prends dans la figure.

Du coup, j'ai répondu :

"Monsieur,

C’est toi le prix plancher sur les fonds absorbés non exécutés sur la valeur liquidative de ta sœur. Rends-moi l'argent, maintenant.

Cordialement,

O."

PS : Je reviendrais ultérieurement sur la cohérence dont je fais preuve en ayant recours (via mon employeur) à un fond de pension dont je combats le spectre en manifestant. Là je n'y ai pas encore vraiment réfléchi.

1 commentaire:

Regarde-toi dans une glace et fais comme elle : réfléchis.