vendredi 18 mars 2011

L'être ou le Guéant

Etre une éminence grise, un homme de l'ombre, ça peut vous satisfaire un moment, bien sûr. Mais, que ceux qui le contestent me jettent le premier parpaing, on aspire tous à notre heure de gloire.

Ainsi Claude : "Les Français à force d'immigration incontrôlée ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux, ou bien ils ont le sentiment de voir des pratiques qui s'imposent à eux et qui ne correspondent pas aux règles de notre vie sociale.Nos compatriotes veulent choisir leur mode de vie, ils ne veulent pas qu'on leur impose un mode de vie"

Au moins, maintenant, on parle de lui.

PS : je sais pas vous, mais moi, je trouve que l'éditorial de FOG vise carrément juste. Putain de censure.

Le chant du bourbier Lybien

Je souffre d'un trouble psychologique assez grave qui bien que discret, s'avère particulièrement handicapant en société : plus je me pose une question, plus je trouve des arguments pour conclure qu'on ne peut y répondre.


Il m'arrive ainsi régulièrement de m'embarquer dans une discussion (souvent politique, mais aussi sportive, ou politique, ou sportive), les idées claires, le mors aux dents, et d'en sortir, trois heures et quelques litres d'alcool plus tard, avec l'impression que le problème est insoluble, les torts partagés, la situation complexe, bref, que...c'est compliqué.

Ainsi, la Lybie. 

Analyse, phase 1 : des gens se révoltent comme dans les pays voisins, le dirigeant local - terroriste notoire - apparait à la télé en pyjama et parapluie pour un discours halluciné expliquant que les troubles sont le fait d'agents d'Al Qaida, de débiles, de drogués, puis annonce qu'il va leur déglinguer la face avec ses avions, ses tanks, et ses mercenaires tchadiens. Ce qu'il fait, avec succès, puisqu'il reconquiert quasiment tout le pays en deux semaines, et qu'il se présente aux portes de la "capitale insurgée", Benghazi, promettant un bain de sang.

A ce stade, unanimité : il faut sauver ces gens du fou sanguinaire qui les menace, par la diplomatie, par la peur, par une balle dans la tête, qu'en savons-nous, mais vite, faisons quelque chose.

Analyse, phase 2 : BHL, égérie dépoitraillée de la liberté néoconne, obtient de Nicolas Sarkozy qu'il reconnaisse le "Conseil National de Transition" lybien comme interlocuteur diplomatique officiel. Le phi-lol-sophe pousse (et le raconte ici, avec son style à lui) également la France à défendre au niveau européen et mondial une intervention en Lybie pour "sauver Benghazi". 
Appuyée par la Grande-Bretagne, la France (et son ministre des Affaires Etrangères Alain Juppé) défend un projet de résolution à l'ONU autorisant "la création d'une zone d'exclusion aérienne au-dessus d'une partie de la Libye" et "toutes les mesures nécessaires pour protéger les civils et imposer un cessez-le-feu à l'armée libyenne". 
Liesse à Benghazi, discours enflammés sur la lumière apparue soudain dans la situation enténébrée des révoltés (cette phrase est hideuse mais je voulais absolument utilisé le mot "enténébré"). Aux dernières nouvelles, cessez-le-feu annoncé par les forces lybiennes, scepticisme généralisé pour l'instant.

Sur le papier, c'est plutôt bien : l'ONU, méta-gouvernement démocratique mondial décide d'intervenir pour la sauvegarde d'une population massacrée par son tyran. Tyran soutenu jusqu'ici par maintes démocraties occidentales, certes, mais néanmoins tyran, dont il semble difficile de justifier les agissements sans un solide sens de la provocation. Le monde, uni et valeureux, qui se dresse contre la tyrannie, voilà un beau tableau. Pourtant...

Je ne suis pas particulièrement fier de l'avouer, mais ce qui me fait douter de la simplicité de la situation, et de l'opposition "gentils insurgés vs méchants loyalistes" n'est pas un refus critique et rigoureux du manichéisme, mais l'identité de ceux qui le relaient. 

Car si l'on fait l'inventaire des soutiens à l'intervention en Lybie, il n'est pas illégitime de s'interroger. Qu'est ce qui pourrait bien réunir BHL (conservateur), Sarkozy (conservateur), le gouvernement anglais (conservateur) et les républicains américains (conservateur) ? Le sens de l'Histoire et des valeurs humanistes universelles ? Ce n'est pas exclu, mais quand même, on sent comme un parfum d'arnaque au milieu des violons interventionnistes, non ? Le même, d'ailleurs, qui flottait à l'aube de l'intervention américaine en Irak, intervention soutenue (contre l'ONU, cette fois) par...BHL, Sarkozy, le gouvernement anglais et les républicains américains. Oh merde.

Comparer l'Irak à la Lybie est évidemment spécieux. Les massacres en Lybie sont sans commune mesure avec la situation irakienne de l'époque, et l'hypocrisie des "armes de destruction massive" est pour l'instant aux abonnés absents. Mais la différence reste néanmoins de l'ordre du "ressenti", voire de l'émotion. Doit-on exclure l'émotion des décisions politiques ? C'est une question éminemment discutable, et la réponse n'est pas simple (putain, ça me reprend). Mais la seule émotion comme fondement d'une décision aussi grave qu'une intervention militaire dans un pays souverain pose problème.

L'intervention militaire qui se dessine pose d'ailleurs nombre de questions à leur tour complexes :

- Qui est ce "Conseil National de Transition" ? Qui représente-t-il ? Qui le soutient ? Qui sont les interlocuteurs des pays occidentaux en Lybie ?

- Quelle "sortie de crise" si l'offensive de Khadafi s'arrête ? On se serre la main et on reprend le boulot la semaine prochaine ?

- Quelles perspectives en cas d'intervention "occidentale" et de défaite de Khadafi ? Qui prend le pouvoir ? Que devient la Lybie ? Que deviennent les gisements pétroliers ? (Je pose cette question ingénument, nous parlons ici de la défense des valeurs de notre civilisation, pas de vulgaires problématiques énergétiques, n'est-ce pas ?)

- Refait-on la guerre d'Espagne, celle de Bosnie, du Kosovo ou d'Irak ?

J'aimerais lire dans nos médias, ou entendre dans la bouche de nos hommes politiques, des réponses à ces questions, plutôt que le tonnerre de cocoricos sans lendemain qui retentit depuis ce matin. 

Je peux toujours courir, pas vrai ?

J'irai Baverez sur vos tombes

Victime une nouvelle fois de mon absolu manque de timing, ni Marine Le Pen ni le nucléaire ne sont les sujets de ce billet.

La France a un gros problème. Comme toi, cher lecteur, je pensais que ce problème, c'était les arabes. Mais je me trompais. Après, j'ai pensé tiens, si c'est pas les arabes, c'est peut-être les musulmans. Les Quick Hallal, les prières dans la rue, les burqas, le terrorisme, c'est vrai que c'est du lourd. Plutôt serein devant cette hypothèse pour le moins crédible, j'ouvre le Point et me délecte de l'éditorial de Claude Imbert, très bon indicateur du sens du vent. Son titre ? "Islam : le temps, la patience et la loi". Putain, je le savais, me dis-je in petto. C'est alors que mon oeil dérive (et ta soeur elle a un strabisme ?) vers une tribune voisine, celle de Nicolas Baverez, intitulée "L'ISF ou l'Impôt du Sabordage Français". Mis en appétit par ce titre mutin, je m'y plonge avec attention. J'en ressors quelques minutes plus tard, soufflé : mais bordel, le vrai problème français, c'est pas les métèques, c'est l'ISF !

Au début j'étais dubitatif, je ne voyais pas tellement comment un impôt qui touche moins d'un centième de la population française, et pas la plus malheureuse, pouvait à ce point plomber l'avenir de notre beau pays, mais heureusement, Nicolas Baverez m'a decillé. C'est vraiment une saloperie, cet impôt (berk) de solidarité (berk) sur la fortune (coooool).

Premier argument : la France est la seule à le faire. Ben ouais. Qu'est ce qu'elle fait, la France, que les autres ne font pas ? Bouffer des grenouilles, guillotiner ses rois, donner aux rues des noms de poète plutôt que des numéros ? C'est pas comme ça qu'on va résister à la Chine, bande de biknits.

Second argument : Il coute cher. Moi j'étais persuadé que l'impôt c'était fait pour rapporter de l'argent à l'Etat, mais là non. Il rapporterait 3 milliards par an (un trentième des bénéfices du CAC40, pour se faire une idée), mais en couterait 4 ou 5 fois plus. Comment se fait-ce ? Hé bien parce qu'il "contraint à l'exil plusieurs dizaines de milliers de français". Hé ouais. Difficile de croire qu'un impôt puisse se montrer aussi cruel avec les gens, mais si, il les chasse du pays. Et puis il chasse pas n'importe qui. Parce que dix mille mecs qui rapporteraient 12 milliards par an, ça te fait du 1,2 millions d'euro par tête. Une coquette somme, on comprend que ces gens là préfèrent l'investir dans un billet de train vers la Suisse.

Troisième argument : Sa mécanique est "prédatrice", ses taux "confiscatoires" (bon si là t'es pas convaincu, Nico Baverez peut plus rien faire pour toi). Du coup le gouvernement (qui est responsable) est contraint de lui tisser maints aménagements ("exonération de l'outil de travail et des oeuvres d'art ; abattement sur la résidence principale ; plafonnement puis déplafonnement du plafonnement ; bouclier fiscal fixé à 60 % puis 50 %", tout ce qu'il peut pour sauver les ménages dans le besoin d'une misère annoncée) pour que les gens reviennent. Bon, ils ne reviennent pas, mais c'est simplement qu'on ne l'aménage pas assez.

Normalement, arrivé là, on est obligé de partager le constat de Nicolas : "L'imposition du patrimoine doit être repensée au sein d'une réforme fiscale globale privilégiant la production et tenant compte de la concurrence internationale, à moins de faire de tous les Français des Johnny Hallyday" (ce qui serait pour le moins pénible, difficile de le nier).

Nicolas se désole d'ailleurs que le gouvernement ne semble pas prendre réellement conscience de cette menace hallidaysque qui pèse sur nous. Oh, bien sûr, il s'est saisi du problème (ici ou ), on n'est pas gouverné par des abrutis quand même. Mais il fait preuve d'une coupable modération. Alors qu'on aurait mieux fait de rendre tout de suite leur argent à ces gens qui s'exilent, voilà qu'il propose, par exemple (attention, tes yeux vont saigner) :
- de taxer la hausse du patrimoine immobilier à hauteur de 19%
- de taxer la hausse des revenus d'assurance vie à la même hauteur de 19%

Imagine. T'as une petite maison, par exemple une villa à Nice. A coté, t'as mis de côté un petit million d'euros en assurance-vie pour que tes enfants n'aient pas à travailler à la mine pour payer leur école de commerce. Si tu gagnes 1000 euros à la sueur de ta maison et de ta banque, il ne t'en reste que 810. PUTAIN MAIS COMMENT TU VEUX BOUFFER AVEC CES CHAROGNARDS BOLCHEVIQUES QUI TE POMPENT TOUT ?

C'est pas Mozart qu'on assassine, c'est Crésus.

Bon évidemment, d'aucun pourrait arguer que c'est le principe de l'impôt de prendre de l'argent aux gens, non pas pour le leur voler mais pour leur maintenir une qualité de vie, qu'ils n'auraient probablement pas au Mozambique (heureux paradis où l'ISF n'existe pas). On pourrait également souligner que prendre 20% de ses rentes à un mec qui n'a strictement rien fait d'autre que d'attendre que son argent produise de l'argent, ce n'est pas exactement "confiscatoire".
L'ISF (renseignez-vous ici) ayant pour objectif premier de restreindre la rente, difficile de s'étonner que les clercs de ce "capitalisme familial" - qui s'irrigue d'une richesse consanguine malgré toutes les fables sur le "mérite" dont il nous abreuve -  le dénoncent à longueur d'éditorial.

Tiens, une statistique amusante : la deuxième ville comptant le plus d'assujettis à cet impôt, après la capitale et devant Lyon ou Marseille est...Neuilly, fief d'un mec que tu connais certainement. Ô délicat toucher du hasard qui de ses longs doigts blancs effleure l'obscurité du monde.

On peut en revanche lever un sourcil perplexe devant l'action du gouvernement  qui, à l'heure où les économies se font de petits millions d'euros  en petits millions d'euros (suppressions de postes dans les hopitaux, la Poste, l'Education Nationale, etc...), décide de se priver de 3 milliards (somme certainement sous-estimée par la fraude fiscale, puisque l'ISF est auto-déclaré) de recette au prétexte qu'ils feraient "fuir" qui que ce soit, touchante sollicitude de la part d'hommes politiques d'ordinaire plus portés sur le bâton que sur la carotte.

De là à s'imaginer qu'il s'agit d'une nouvelle mesure destinée, sous couvert d'intérêt national claironné par des penseurs du niveau de Nicolas Baverez, à filer encore un peu plus de thunes aux fortunes privées plutôt qu'à l'Etat, et incidemment, à tous, il n'y a qu'un pas que je franchis à pieds joints.

Splash, fait la boue visqueuse de l'idéologie dominante.

PS : le Front National réclame depuis des années la suppression de cet impôt, de même que celle de l'impôt sur le revenu. Tout ne les oppose donc pas à nos amis de l'UMP.

jeudi 10 mars 2011

Dépénalisons les imbéciles

Je ne sais pas vous, mais je me sens aliéné comme jamais. Alors que palpitent sous mes tempes les sourdes pulsions de l'homme libre, voilà qu'on m'oppresse, qu'on m'étouffe, que chaque jour je ploie davantage sous le joug tyrannique du mal de notre siècle, sous la chape de plomb qu'imposent insidieusement tant d'ombres obscurantistes, et que m'enserre le douloureux carcan du politiquement correct. Oui, chers lecteurs au pluriel parce que je sens que la gloire approche, chaque jour qui passe me laisse plus ravagé par la sordide étreinte de la bien-pensance.

Voyez-vous, j'étais comme ça, dans le métropolitain, à n'embêter personne avec mon livre, quand soudain entrèrent dans ma rame deux volumineuses négresses qui dégageaient, enfin, vous savez, cette odeur particulière qui leur vient il me semble de la cuisine épicée et de l'hygiène discutable héritées des grandes plaines sèches où languissaient leurs ancêtres. Souhaitant poursuivre ma lecture de Maupassant sans avoir l'impression de visiter le zoo de Vincennes, je leur demandai humblement de s'écarter, sans faire mention de la gêne pourtant réelle que me causaient leurs exhalaisons. Et là, sans le moindre scrupule ni la moindre reconnaissance pour ma discrétion, les voilà qui se mettent à baragouiner, quasiment en hurlant, dans ce langage simiesque et grossier qu'on aurait peine à prêter à quelque individu civilisé. Excédé, les nerfs vrillés par le bruit, l'odeur et la promiscuité, je m'adresse alors à ces deux sans-gênes en des termes certes fleuris mais légitimes: "Dites-donc, bande de putes obèses, rentrez chez vous au lieu de nous casser les oreilles et de nous empuantir avec vos manières d'animaux. Y en a qui vont au travail pendant que vous pompez nos allocs, les bamboulas". Ce n'était certes pas des plus diplomates, mais enfin nous devons bien nous faire respecter, nous sommes chez nous, n'est-ce pas ?

Et que croyez-vous qu'il arriva ? Au lieu d'approuver en bons français ma courageuse intervention, voilà que plusieurs personnes dans le wagon me jettent des regards furieux, et qu'aux deux négresses qui m'agonissent d'insultes se joignent deux jeunes hommes, l'un, moricaud, forcément solidaire de ses congénères, mais l'autre pourtant blanc et propre sur lui, qui m'empoignent et me jettent hors du wagon sans ménagement. Vous vous rendez compte ? Dans quel monde vivons-nous ? Par quels grands renoncements et quelles menues lachetés en sommes-nous venus à cette omniprésente et tyrannique bien-pensante qui foule aux pieds nos libertés les plus fondamentales ? Ne peut-on plus rien dire dans ce pays malade ?

C'est une excellente question, et je me remercie de l'avoir posée bien que je ne sois pas le seul à m'en préoccuper. L'excellent Franz-Olivier Giesbert, Messieurs le secrétaire d'Etat Thierry Mariani et ses collègues députés dans un communiqué très digne, ou le toujours pertinent Ivan Rioufol, entre autres, se sont saisis eux aussi de ce problème qui sape progressivement, à les en croire, jusqu'aux racines les plus saines de notre pays.

Cette violence et cette unanimité de la réaction décomplexée quant à la condamnation d'Eric Zemmour est une première illustration du renversement sémantique que tente d'opérer depuis des années nos amis de la droite "dure". La réception de ce dernier par un collectif de députés, et les applaudissements nourris qui ont accueilli ses appels à l'abrogation des lois "mémorielles" (voir le député UMP Christian Vanneste qui les qualifie "d'anti-françaises") et à l'arrêt des subventions pour les associations anti-racistes une seconde.

A première vue, c'est pourtant une position qui se défend : une liberté (en l'occurrence celle d'expression) ne peut tolérer de bornes sans risquer de n'en plus être une. Permettre à tout le monde de dire absolument n'importe quoi est un choix politique qui n'est pas celui actuellement en vigueur en France, mais qui a ses avantages et ses inconvénients.

Seulement, quelles sont les cibles de ces farouches revendications libertaires ?
- la loi Gayssot, qui réprime les actes antisémites, racistes ou xénophobes
- la loi Taubira, qui reconnait l'esclavage et la traite des noirs comme des crimes contre l'humanité
- la décision de justice contre Zemmour, qui condamne (grossièrement) son apologie du contrôle au faciès et de la discrimination à l'embauche.

On peut, sans être polytechnicien, voir dans ces différentes lois et décisions une constante : il s'agit de qualifier et sanctionner le seul racisme (un détour par Wikipédia nous apprendra d'ailleurs que le code pénal se passe bien de ces lois pour sanctionner celui-ci). 

On notera d'ailleurs que ces mêmes pourfendeurs d'une justice liberticide étaient les mêmes, ou presque, qui hurlèrent quand Martine Aubry comparait Sarkozy à Bernard Madoff (Raffarin dira même "Comparer le président de la République à un escroc, c’est une injure, pas une opinion!", à comparer avec ses compagnons politiques qui affirment aujourd'hui que le racisme doit être une opinion, et non plus un délit). On peut également retrouver les cris d'orfraie du Point ou du Figaro devant les propos d'un Dieudonné pas tellement plus nauséabond que leur Eric.

Il ne s'agit donc pas de libérer n'importe quelle expression, mais de "dépénaliser" l'expression d'une forme de xénophobie, d'islamophobie qui flotte sur les lèvres UMP depuis de longs mois. La même qui affleure dans les propos récents de la député Chantal Brunel, proposant de remettre les immigrés "dans les bateaux" pour "rassurer les français". Les excuses formulées suite à ce tollé sont à ce titre éclairantes : plutôt que de regretter le fond, voilà qu'elle déplore qu'on ne puisse "plus utiliser des mots qui ont été utilisés par le Front national", au risque de "faire son lit". Soyons xénophobes pour ne pas faire le lit des xénophobes, et si possible sans risquer la condamnation pénale. Comment ne pas vibrer d'enthousiasme devant ce beau programme ?

Pour en revenir à nos apôtres de la parole libérée, je parlais tout à l'heure de renversement sémantique car c'en est un : marteler que Zemmour incarne une "liberté" bafouée, baillonnée par une censure "bien-pensante", "stalinienne" et par des associations anti-racistes "nuisibles", c'est esquisser une modification aussi totale qu'absurde du sens des mots. Le racisme, c'est la peur; la peur est une forme d'aliénation.Ce n'est pas la liberté. A l'inverse, qualifier d'anti-républicain le fait d'assurer la défense d'individus ou de minorités discriminées témoigne d'une conception pour le moins discutable de la République. 

On assiste donc encore une fois à une distorsion volontaire, concertée, du langage au service d'une idéologie moisie.  Et pendant ce temps là, Jean-Michel Apathie fait de l'entomologie. On a les éditorialistes qu'on mérite, sans aucun doute.

vendredi 4 mars 2011

Laïcité va craquer

Les Français, dont je me sens légitime de porter la voix puisque je dispose au même titre que le chef de l'Etat et ses conseillers des deux qualités nécessaires à l'évaluation des inquiétudes populaires que sont l'alphabétisation (pour lire les sondages), et le "bon sens" (pour les interpréter de manière à ce qu'ils me confortent dans mon analyse préalable), les français disais-je ont deux inquiétudes majeures en ces temps troublés : les impôts, dont on les accable, et les arabes, dont on les accable également.

(A ceux qui pensent que les français se préoccupent plutôt de chômage, d'éducation ou d'éthique, nous rirons au nez sans plus d'hypocrisie : si vous alliez plus souvent dans les PMU des quartiers populaires au lieu de lire Télérama dans vos canapés en lin biologique, vous diriez moins n'importe quoi)

Il était par conséquent du devoir d'un Président de la République responsable, et sensible aux préoccupations de ses concitoyens en un seul mot d'adresser au plus vite ces deux problématiques.

La première, les impôts, qui nécessite de faire des calculs, de justifier des choix, et de froncer les sourcils pour faire sérieux, a été légitimement déléguée à François Fillon.

La seconde en revanche, fait l'objet d'une attention poussée de Nicolas Sarkozy et des leaders de sa majorité, qui s'en sont emparés avec l'énergie et le dévouement à la France qu'on leur connaît. Il était donc de notre devoir de commentateur de la vie républicaine de rendre compte de leurs louables efforts.

Tout à commencé par un constat de Nicolas Sarkozy, partagé avec l'ensemble du pays à l'occasion d'une mémorable émission de télévision. Ce constat est sans appel : "le multiculturalisme est un échec". Pourquoi ? Parce "qu'on s'est trop préoccupé de l'identité de celui qui arrivait et pas assez de l'identité du pays qui l'accueillait".

On notera pour commencer que le multiculturalisme est réduit à une opposition entre les "arrivants" et les "accueillants", sans que les uns ni les autres soient définis.
François Legrand, dont la famille habite Le Havre depuis le onzième siècle, et qui se targue de descendre de Guillaume le Conquérant, duc de Normandie et roi d'Angleterre, est-il un accueillant ou un (vieil) arrivant ?
Jérome Bolzoni, professeur de français à Creil,  dont le grand-père napolitain a fui le fascisme en 1935, est-il un accueillant ou un arrivant ?
Zinédine Zidane, plante verte pour émission sportive, né à Marseille de deux parents algériens, est-il un accueillant ou un arrivant ?
Nul doute que la distinction, peu évidente a priori, est faite avec soin par le chef de l'Etat et les responsables de l'UMP, on ne conclut pas à l'échec d'une manière aussi définitive quand on n'a pas préalablement analysé la situation avec soin.

Peu de temps après avoir formulé ce constat, le chef de l'Etat clarifie son propos : il souhaite un débat sur l'Islam, également désigné sous le nom de "débat sur la laïcité" (du latin "laïcitus, laïcitum", qui signifie musulman). Se défendant de surfer sur les provocations de Marine Le Pen comparant les prières de rue à l'Occupation Allemande, Nicolas Sarkozy se montre clair : les prières de rue n'ont rien à voir avec l'occupation allemande, puisque les nazis ne portaient pas tous des barbes. Mais il ne fait cependant aucun doute que "certaines pratiques de l'Islam représente clairement un problème en France".

Accusé par quelques bobos et autres angélistes bolchéviques de jouer avec le feu et de stigmatiser à dessein une partie de la population française déjà passablement discriminée par la police, les recruteurs ou les directeurs de casting electoral, Nicolas Sarkozy rassure: "On essaie toujours de monter les uns contre les autres. Moi, j'essaie de rassembler" (déclaration au Salon de l'Agriculture)

Poussons collectivement un ouf de soulagement, nous avions craint le pire.
 
Les industrieux partisans du débat se mettent alors en branle, et soumettent à l'opinion leurs premières pistes de réflexion. Jean-François Copé souhaite ainsi "poser un certain nombre de problèmes de fond sur l'exercice des cultes religieux, singulièrement le culte musulman, et de sa compatibilité avec les lois laïques de la République" . Nicolas Sarkozy, quant à lui, souligne trois sujets qui lui semblent cruciaux "Pas de prières dans la rue, la mixité à la piscine et pas de repas halal dans les cantines scolaires".

Enfin, le problème des mères voilées souhaitant accompagner les sorties scolaires est également à l'ordre du jour du côté du ministère de l'Education Nationale.

On le voit, il ne s'agit nullement d'agiter le chiffon musulman devant les yeux bovins de nos beaufs nationaux, et ceux qui accusent l'UMP et le gouvernement de ne parler que d'Islam au lieu de parler de laïcité en sont pour leur frais.

Nicolas Sarkozy a d'ailleurs mis le coup de grâce aux tenants de cette ridicule polémique en portant le fer laïc contre une autre religion aliénante et dangereuse pour la vie républicaine : en visite au Puy-en-Velay, le président de la République a été l'auteur d'une charge violente contre la religion catholique et ses représentants. "La chrétienté nous a laissé un magnifique héritage de civilisation", a-t-il déclaré la bave aux lèvres, menaçant de "conserver et restaurer" cet héritage, une "mission à laquelle l'Etat ne peut et ne doit se dérober". Prends ça dans ta gueule Jesus-Christ, hurlait derrière lui la foule en délire.

Bon. On rigole, on rigole, mais on assiste l'air de rien à une nouvelle démonstration de rouerie politique de la droite "décomplexée" que representent si bien Sarkozy, Copé et consorts.


Première étape : lancer un débat de merde.

Sans autre intérêt que de draguer le beauf un peu con qui s'indigne de l'existence des Quick Hallal tout en regardant ses footballeurs préférés remercier Dieu à longueur d'interview, il était évidemment de salubrité publique de l'ignorer, et de clamer haut et fort que non, les histoires de piscine, de repas hallal ou de prière de rue ne sont pas "cruciaux". Qu'il existe des lois pour sanctionner les entorses à la laïcité telle que définie dans la constitution de 1958 ("La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances") et la loi de 1905 ("La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte").
Comme lorsque la droite parle de sécurité, le piège n'est pas dans la question, mais dans le choix de la question.

Deuxième étape : insuffler dans un débat aux bases moisies une vraie charge idéologique.

Ici, que la religion chrétienne fonde notre civilisation, et qu'au contraire d'un Islam exogène qu'il faut combattre, elle ferait partie d'un patrimoine à défendre. Affirmation totalement contraire aux deux textes précités, et marotte de la droite française pour qui la spiritualité est nécessairement catholique.

Etablir une différence de hiérarchie entre une religion et une autre ne relève plus du tout de la provocation electoraliste, mais d'une réelle volonté politique de revenir sur la laïcité. On voit venir gros comme une maison la remise en cause de la loi de 1905, au prétexte d'aider les pauvres musulmans à construire des mosquées, pour la plus grande joie des bigots de tous poils qui pourront faire subventionner leurs écoles confessionnelles en open bar.

On se retrouve ainsi prisonnier : ne pas participer au débat, c'est laisser faire. Participer au débat, c'est alimenter la machine à conneries racistes qui tourne déjà à plein régime. Victoire politique totale, écrasante, comme souvent quand on s'appuie sur la peur et les préjugés. C'est tellement plus facile de tirer vers le bas que vers le haut...

mercredi 23 février 2011

La Libye ne fait pas le moine

Difficile ces derniers jours d'allumer la télévision, la radio, ou d'ouvrir un journal sans y trouver une vigoureuse dénonciation des "clans" Ben Ali, Moubarak, ou plus récemment Kadhafi. On y découvre les fortunes colossales amassées aux dépens de leurs pays respectifs par nos amis autocrates, la corruption, la violence, l'impunité, et tous ces mots désagréables qu'on s'était bien garder de leur associer jusqu'ici.

Mieux, dans le cas du colonel lybien, on lui découvre une personnalité de fou dangereux, paranoïaque, mégalomane, un cas pathologique curieusement tenu sous silence lors de sa visite en France, sous la tente et en grandes pompes il y a trois ans.

Comment interpréter cette vague d'indignation qui décille nos hommes politiques et médias nationaux ? Pourquoi la Tunisie, l'Egypte ou la Lybie sont-elles si longtemps restées d'aimables voisines sagement gouvernées par des individus certes un peu directifs, mais ô combien modernes et ambitieux ?

Prenons l'exemple de Ben Ali, et le mien (puisqu'après tout c'est moi qui écrit) : ayant eu la chance d'effectuer mon parcours scolaire dans un milieu relativement sain où l'on compte plus de couleurs de peau que de particules par classes de 6ème, j'ai cotoyé pendant mes jeunes années nombre de ces dangers pour la République que sont les arabes  musulmans  bon enfin vous voyez bien, ceux qui crachent par terre, là. Et parmi eux, un tunisien d'origine, avec qui j'ai eu la chance de me lier d'amitié et qui après quelques mois à dire n'importe quoi entre deux cours de maths me jugea assez digne de confiance pour me faire part de son avis sur le pays de ses parents. C'est ainsi que j'appris qu'en Tunisie, on pouvait aller en prison pour avoir critiqué le régime, et que de nombreux opposants "disparaissaient" au vu et au su de tous. Nous étions en 1197, j'avais 15 ans, et je découvrais Ben Ali, le dictateur tunisien.

Comment expliquer que depuis lors, et jusqu'à la chute de ce qu'il est désormais convenu d'appeler un criminel, je n'ai jamais vu le Raïs qualifié d'autre chose que d'un "grand modernisateur", d'un "partenaire commercial privilégié", d'un "invité de marque pour la présidence de la République" ? Nos journalistes sont-ils à ce point privés de ressources et de temps qu'ils ne puissent interroger le premier immigré tunisien venu pour s'enquérir du régime politique local ? Ou bien n'était-il tout simplement pas "intéressant", tout occupés que nous étions à disséquer notre (indispensable) cuisine politique nationale, de se pencher sur une dictature ,distante d'une petite Méditerranée, avec laquelle nous entretenions un florissant commerce en même temps que nous nous gargarisions des Droits de l'Homme exportables en Chine ou en Afghanistan ?

Et voilà qu'après leur chute, nos chers tyrans arabes sont soudain désignés comme tels ! Et quelle vigueur désormais pour dénoncer leur barbarie et leur cupidité si longtemps tues ! 

Voilà qui en dit long, je crois, sur la crasse nullité de notre presse, aussi prompte à tirer sur l'ambulance qu'à taire les vrais scandales. Une presse de commentaire plutôt que d'information. Une presse démissionnaire de sa mission première, et je vous épargne d'autres rimes en R.

Quant à la classe politique, a minima celle "de gouvernement", dont nous serions normalement en droit d'attendre quelque faculté d'analyse et d'anticipation, son discrédit est tel que nous ne pensons même plus à nous indigner de son silence coupable, persuadés que nous sommes des compromissions qu'elle dissimule.

Il faut voir d'ailleurs avec quelle force de perspective nos grands timoniers gèrent et ont géré la "crise lybienne". Alors que ce cher colonel K. massacre depuis trois jours son peuple à grands renforts d'avions de chasse, la diplomatie française passe à l'offensive : Nicolas Sarkozy a réclamé "l’adoption rapide de sanctions concrètes". Mieux, il souhaite "que soit examinée la suspension des relations économiques, commerciales et financières avec la Libye, jusqu’à nouvel ordre".

Outre que ces déclarations sonnent terriblement dérisoires quand les libyens meurent par milliers, on peut se demander si nos relations économiques, commerciales et financières avec le régime Kadhafi étaient beaucoup plus légitimes il y a trois semaines, trois mois ou trois ans, lorsqu'un malade mental plantait sa tente dans les jardins de l'Elysée au grand plaisir de son principal occupant. Peut-être n'était-il pas alors assez meurtrier pour mériter notre opprobre.

La diplomatie du porte-monnaie nous rend de grands services, à n'en pas douter.

lundi 21 février 2011

Un peu comme un Kadhafis


"Si on te saoule, tu vois, tu fais comme ça : pan."

De bonnes révolutions

Que penser de ces rues arabes pleines de gens avec des pancartes gribouillées ?

Si toi aussi tu es perdu, je t'encourage à lire l'interview d'Olivier Roy sur Rue89.

C'est fou comme on comprend, quand on nous explique au lieu de nous agiter sous le nez des images commentées par des pitres.

L'illusion démocrapathique.

Histoire de ne pas passer pour un gigantesque monomaniaque (pour citer François Morel, "Faut pas exagérer"), j'ai pris soin d'entamer mon année 2011 par un article léger, pas clivant pour un sou : un article de consensus. Je comptais d'ailleurs poursuite sur ma lancée pour discuter avec vous du temps qui se réchauffe, du poulet au basilic et de ces jolis peuples zarabes qui se révoltent pour s'occuper puisqu'ils ont pas de Xbox, mais c'est pas ma faute, on me provoque.

Par exemple ce matin, c'est Jean-Michel Apathie qui s'y colle, en soufflant sur le moulin à buzz interviewant avec la pertinence qui lui est coutumière Jean-Luc Mélenchon. 

Que les choses soient claires, je n'ai aucune espèce de proximité idéologique avec Jean-Luc Mélenchon (je sais que c'est pas crédible, mais ça fait bien de se targuer de neutralité quand on aborde un sujet polémique). Plus sérieusement, je n'aurais probablement pas consacré une ligne à ce sujet si l'interviewé était Fadela Amara, mais la problématique est la même  dans tous les cas, et j'arrête d'essayer de m'auto-spoiler pour passer au vif du sujet, à commencer par le contexte.

CONTEXTE

Jean-Michel Apathie recevait ce matin sur RTL Jean-Luc Mélenchon, candidat à la candidature du Front de Gauche pour 2012, pour une interview qu'on devine bienveillante et cordiale.

La retranscription de l'interview est disponible ici, que vous puissiez vous assurer que ma mauvaise foi bénéficie quand même d'un fond de vérité.


LES FAITS

JM a donc choisi de recevoir JL, dont l'exercice d'auto-caricature en épouvantail gauchiste saoule ou enivre alternativement, pour discuter politique. Imagine-t-on. Mais l'imagination est une traitresse, dont les hommes raisonnables - que nous sommes - feraient bien de se départir à l'heure de discuter des choses sérieuses. Aussi, prenant à contre-pieds les rêveurs qui s'imaginent qu'on interviewe les hommes politiques pour leur faire parler de leur métier, Jean-Mi s'attaque-t-il au VRAI sujet politique d'actualité : DSK.
"Qu'avez-vous pensé de l'intervention de Dominique Strauss-Kahn, hier soir chez France 2 ?", attaque-t-il dès les premières secondes de l'échange. Mélenchon répond qu'il est consterné, puis embraie sur le G20 et sur une décision prise à son occasion et passée sous silence lors de la fameuse "intervention". 

L'intervieweur s'intéresse poliment, puis revient à sa notre préoccupation : "Pourquoi Dominique Strauss-Kahn vous a-t-il consterné, hier soir ?". Mélenchon répond à nouveau, s'agaçant de l'interminable jeu du "il y va/il y va pas" qui occupe l'espace médiatique depuis deux bons mois, et tente d'embrayer sur le référendum Islandais. Là, Apathie, qui a fait semblant de s'interesser pour le G20 mais qui a quand même une interview sérieuse à mener, le recadre : "S'il était candidat à l'élection présidentielle, Dominique Strauss-Kahn, vous lui seriez profondément hostile, Jean-Luc Mélenchon ?". Mélenchon lui répond alors que bon, ça l'arrangerait qu'on lui fasse parler d'autre chose que de DSK, témoignant ainsi de l'étroitesse manifeste de sa vision politique. 

Faut pas s'étonner qu'il passe pour un clown, Mélenchon, s'il veut pas discuter des trucs importants. Mais enfin, Apathie est un professionnel, et il enchaine : puisqu'il veut pas parler de mon sujet, changeons-en ! "C'était le 5 janvier, avant la révolte des peuples arabes. Vous avez dit : "Cuba c'est pas une dictature". Vous maintenez ce matin, Jean-Luc Mélenchon ?". Un autre vrai sujet pour gens sérieux, qui donne lieu à un échange enrichissant entre les deux hommes que je vous laisse le soin de relire pour vous en imprégner : rien, absolument rien ,n'en ressort. Apathie de conclure alors "Vous savez pourquoi je vous ai parlé de Cuba ?Parce qu'à chaque fois que je vous ai interrogé sur Dominique Strauss-Kahn, vous disiez : "Ces questions n'ont aucun intérêt, je vais demander à ma femme, allez voir ailleurs". Alors je vous ai parlé d'autre chose. Et le "autre chose" ne va pas non plus. Tant pis.".

Vous pouvez chercher le point d'interrogation : il n'y en a pas. L'interview se transforme en procès, et s'achère sur un constat malheureusement très habituel :  Jean-Luc Mélenchon n'est jamais content. 

MON AVIS (quand même, il est temps)

Cette interview est terrible. Elle est terrible pour ce qu'elle nous montre du degré de nullité intellectuelle de "l'analyse politique" aujourd'hui. Apathie n'a pourtant rien d'un imbécile, et ses questions sont préparées, pesées selon un fil directeur qu'il partage avec nombre de ses collègues. Echanger une heure avec un homme politique en ne l'interrogeant que sur DSK et une petite phrase périmée répond donc bien à un cahier des charges assumé, qu'on pourrait décrire comme suit :

1- Transformer la chose politique en chose politicienne. 

Jean-Luc Mélenchon n'est pas invité pour exposer ses idées ou donner son avis sur ce qu'il juge important. On l'invite pour discuter du sujet qui préoccupe l'intervieweur. Ici, DSK, et ses atermoiements au sujet d'une candidature éventuelle aux primaires du PS. DSK est-il un sujet ? Nous sommes à plus d'un an de la présidentielle, ce dernier n'est à l'heure actuelle pas même candidat à la candidature au sein de son propre parti,  on pourrait penser qu'il existe d'autres thèmes politiques importants au sujet desquels l'avis d'un responsable politique pourrait s'avérer précieux. Mais non, ce sujet eclipse tout les autres. Et il eclipse tous les autres parce qu'on dit qu'il est important. 

Et puisqu'on dit qu'il est important, on en parle partout. Et puisqu'on en parle partout, il finit par devenir (ou avoir l'air d'être) important. On en fait des sondages, des micro-trottoirs, on arrache à tous leur avis sur le sujet et on dit : regardez, tout le monde en parle. Après les bulles spéculatives, les bulles informationnelles. Quand on aura fini de réguler le capitalisme il faudra s'attaquer aux médias, hein ?

Pire, Mélenchon n'est pas interrogé sur ce qu'il pense des idées de DSK, sur ce qui les opposerait ou les rapprocherait : non, ce qu'on attend de lui c'est qu'il commente la "tactique", de son adversaire qu'il se "positionne" (une alliance, une opposition ? Pourquoi n'est pas important, c'est Comment qui nous intéresse). Voilà ce qu'on attend d'un homme politique dans les interviews sérieuses des grands médias : un commentaire formel et politicien.

Cette démarche est d'autant plus vicieuse qu'elle s'auto-entretient. On interroge Mélenchon sur ce qu'a dit Strauss-Kahn, puis on interrogera Hamon sur ce qu'a dit Mélenchon, et puis Copé sur l'interview d'Hamon, et ainsi de suite, long et vaste ballet de commentaires inconsistants qui tournent autour du fond comme un cheval de carrousel autour de son axe : sans jamais l'effleurer. 

2- Chercher (ou entretenir la polémique). 

Pourquoi Apathie interroge-t-il Mélenchon sur une phrase prononcée il y a un mois et demi, sans aucun lien avec l'actualité ? Qu'attend-t-il ? Rien, bien sûr. Il s'agit de piéger l'invité pour l'amener à prononcer LA phrase qui montée en épingle permettra d'alimenter les gazettes pour quelques jours, quelques semaines quand c'est une pépite. 

Un piège d'autant plus vicieux qu'il est inextricable : répondre alimente la polémique, refuser de répondre alimente AUSSI la polémique. Qu'a pu dire Mélenchon après cette question ? Rien. Et c'est très exactement ce que souhaite Apathie. "Tu ne veux pas participer selon les règles ? Alors tu ne participeras pas". 

Ne nous y trompons pas, Mélenchon en est une des victimes les plus "évidentes" parce qu'il rue dans les brancards, mais tous sont logés à la même enseigne. Allez trouver une interview pendant laquelle Aubry, Bayrou ou Le Pen auront pu développer leur programme au lieu de commenter les faits et gestes de leurs pairs.

MA CONCLUSION (je structure un peu drastiquement, mais c'est pour t'aider si tu veux pas tout lire)

Que penser alors de cet exercice d'interview politique tel qu'il est pratiqué par Apathie et ses collègues ? Du mal, je le crains.

Cette castration de la parole politique, perpétrée par des "journalistes" persuadés que l'information se résume au commentaire politicien est dramatique. D'abord parce qu'elle rend con, profondément con, aussi bien ceux qui l'alimentent que ceux qui s'en repaissent en s'imaginant que c'est important. Ensuite, et surtout, parce qu'elle fait le jeu de ceux dont la politique se résume à la petite phrase, et qui veulent à tout prix éviter les questions de fond qui pourrait amener au bilan, ou pire, à la remise en cause de leurs choix.

Je ne sais pas si Apathie est sarkozyste. Sans doute pas. Mais sa conception étriquée, stupide oserais-je, de son métier est un formidable outil de propagande en creux : en saturant l'espace médiatique de polémiques stériles et de "grands sujets" absolument vides de sens (qui se préoccupe réellement de la candidature ou non de DSK à deux ans de la présidentielle ?), ils étouffent toutes vélléités de débat, d'échange et de réflexion, contribuant à transformer la politique en marketing et le vote en choix d'éléctroménager.

Vous voulez une démocratie qui fonctionne ? Faites moins d'audience à ces baudruches, ce sera un bon début.

Reboot 2011

Nous sommes le 21 février 2011. Il y a exactement un mois, 20 jours et quelques heures, j'ai pris l'excellente résolution de bloguer plus régulièrement. Ca vous donne une idée de ma force de caractère.

A ma décharge, puisqu'il faut bien que je me justifie, le non-blogging est un cercle vicieux : plus on attend, moins on trouve de sujets dignes de briser le silence qui s'installe. "Je vais quand même pas faire mon premier article depuis trois mois sur Eric Zemmour ou le salon de l'agriculture", voilà la pénible interrogation qui hante la e-feignasse à l'heure de se remettre à écrire. Alors les sujets jugés mineurs s'accumulent, s'entassent, et finissent par moisir dans un fond de brouillon qu'on supprime en se disant que ce n'est plus la peine. 

Mais aujourd'hui, 21 février 2011 si tu suis et si j'ai bien publié l'article à la date à laquelle je le prévois, j'ai décidé de lutter contre cette longue série de petites démissions, et de remettre la plume à la pâte si tu m'autorises cette assez foireuse métaphore. Et pour mettre un terme à l'interminable recherche d'un "sujet-qui-vaut-le-coup", j'ai décidé de recommencer en parlant de...rien.

Je vous le présente :



Ouais je sais, il gâche un peu le paysage, mais j'espère que vous saurez apprécier sous la mèche de bon aloi et le sourcil Domenechien le discret rictus air d'intelligence qui émane d'au dessus de sa cravate. L'air de Rien, ça s'appelle.

Allez, à bientôt.