mardi 7 décembre 2010

Les mouettes et le chalutier

Deux semaines. Cela fait deux semaines que je me suis promis de faire un article sur Cantona et son "bankrun", et c'est le jour même, alors qu'on en parle jusque dans les plus reculées des cantines de banlieue, que je trouve le temps et la motivation pour m'y atteler. Je me suis même fait piquer mon idée de titre, autant vous dire que je l'ai mauvaise. Du coup au lieu de passer pour un observateur vigilant de l'air du temps, je passe pour un suiveur tocard qui parle de ce dont tout le monde parle. C'est mauvais pour mon égo, mais ça m'apprendra à procrastiner à un tel degré.

Cantona, donc, qui soumettait en plein mouvement social contre la réforme des retraites - tu sais, celle qui rapporte tellement plein d'argent que l'Etat s'en va piocher dans le fond de Réserve des Retraites, monté par Jospin en période d'abondance pour prévenir le choc démographique du départ à la retraite des baby-boomers en 2020 -, qui soumettait disais-je l'idée d'une révolution "pacifique", Gandhi-style, sauf qu'au lieu de marcher sans but comme un hippie, tu marcherais jusqu'à ta banque pour retirer tes thunes, mettant ainsi un violent high-kick dans la face du capitalisme sauvage et des Erynies bancaires.

Sur le papier, on sent bien que c'est nul : même si Cantona inspire à des milliers de gens l'envie de niquer le système, le mieux que puisse générer une horde de bankrunners énervés, c'est une pénurie de petites coupures dans les quelques banques où ils seront plus de trois à participer à l'opération. Ca fera chier un ou deux directeurs d'agences, mais le capitalisme financier risque de s'en remettre assez rapidement.

Quand bien même le King entrainerait dans son sillage des millions de français, il apparait douteux que cela fasse vaciller la BNP ou la Société Générale. Sauf si dans le lot il y a Liliane Bettencourt, mais elle peut pas, sa quête d'harmonie familiale lui prend tout son temps. Il ne faut donc pas chercher dans l'injonction de Cantona et dans son relais par une webosphère exaltée de sourde menace contre les puissances financières, c'est mignon mais ça casse pas trois pattes à un trader.

En revanche, l'appel de Cantona et la caisse de résonance que lui offrent des médias ravis de cet iconoclasme facile à expliquer nous dit deux choses :

1- L'alternative aux "banques"

Au dela de l'idée de "faire tomber les banques", attirer l'attention sur des systèmes bancaires alternatifs est tout sauf anodin. Je compte au nombre de ceux que ça défrise de ne pouvoir empêcher ma banque d'aller faire des loopings boursiers avec mon PEL, et la "crise" doublée de l'arrogante santé des grandes banques incite beaucoup de "clients" moyennement ravis à douter de la chaleur bienveillante et désintéressée que leur porte leur conseiller financier.

Et si aucun mouvement de masse ne plongera d'un coup la finance dans le chaos, la publicité offerte à d'éventuelles alternatives* bancaires (Crédit Coopératif, par exemple) ou la manifestation collective d'une volonté de ne plus "subir la finance" peuvent déboucher sur une désaffection progressive des Français pour le crédit à tout prix, les intérêts peu regardants, et plus généralement les "responsabiliser" sur leur façon de consommer la banque.

*Un bémol cependant : un journaliste de France Culture pointait ce matin qu'aucune banque mutualiste indépendante n'existait, l'Etat n'autorisant pas leur création sans adossement préalable à un grand groupe.

Je n'aime pas qu'on s'adresse au consommateur plutôt qu'au citoyen, mais là c'est un mélange des deux qui me parait salutaire. Au même titre que je conçois une manifestation, non comme l'expression d'une volonté d'imposer la voix de la rue à l'Etat mais comme une façon de sensibiliser la majorité silencieuse à un sujet dont elle se désintéresse (encouragée bien entendue par le sournois paternalisme de nos élites), l'appel de Cantona a vocation à interpeller. Gloser sur sa stupidité comme le font nombre de gens sérieux (Apathie, Schneidermann, etc...) c'est passer à côté du sujet.

2- Le mutisme de la gauche

En lançant un tel appel, Eric Cantona pose bêtement une question intelligente : comment FAIRE quelque chose pour sortir du marasme d'un capitalisme "réformé" par ceux-là même qui en vivent, et qui préfèreraient se scier une jambe plutôt que la branche sur laquelle ils prospèrent ?

Et ça, messieurs dames, ça s'appelle un geste POLITIQUE.

Et qu'il faille qu'un footballeur à la retraite s'y colle en dit long sur le degré de démission ou de médiocrité des gens dont c'est le métier.

Beaucoup de politiciens ont pris la parole sur le sujet. Certains en rient, d'autres s'en inquiètent, quelques uns s'en réjouissent et beaucoup le balaient d'un revers de main. Quoi qu'ils en pensent, et quoi que leur dicte leur positionnement du côté du pouvoir ou de l'opposition, ils devraient tous partager un sentiment, et un seul : la honte.

Parce que c'est ERIC CANTONA qui offre une perspective d'action contre la "crise", qui exalte une solidarité et un engagement qu'ils devraient perpétuellement rechercher. C'est ERIC CANTONA qui propose, interpelle, et eux qui commentent, comme mille incompétences dépassées (au rang desquelles votre serviteur) qui se targuent d'analyse pour mieux masquer leur cruelle absence de perspectives et d'invention.

T'ES OU, LA GAUCHE, PUTAIN ? Elle est où, ton énergie, ta vitalité, tes propositions rêveuses, peut-être, mais justes et fédératrices ? Il est où, l'espoir que tu offres d'un avenir meilleur, d'un réel changement ?

Qu'il s'incarne dans un centriste financiariste ou une ambitieuse sans scrupules, dans le combat de coq qu'ils se livrent sous les yeux ravis des médias que cela libère du fond pour un spectacle de pure forme, en dit long sur le délabrement d'une "opposition" inaudible.

Et on porte tous notre part de responsabilité dans ce triste constat : lorsqu'on écoutera les idées politiques plutôt que de regarder ceux qui les portent, on n'aura peut-être plus besoin des footballeurs pour initier les vrais sujets.