mardi 7 décembre 2010

Les mouettes et le chalutier

Deux semaines. Cela fait deux semaines que je me suis promis de faire un article sur Cantona et son "bankrun", et c'est le jour même, alors qu'on en parle jusque dans les plus reculées des cantines de banlieue, que je trouve le temps et la motivation pour m'y atteler. Je me suis même fait piquer mon idée de titre, autant vous dire que je l'ai mauvaise. Du coup au lieu de passer pour un observateur vigilant de l'air du temps, je passe pour un suiveur tocard qui parle de ce dont tout le monde parle. C'est mauvais pour mon égo, mais ça m'apprendra à procrastiner à un tel degré.

Cantona, donc, qui soumettait en plein mouvement social contre la réforme des retraites - tu sais, celle qui rapporte tellement plein d'argent que l'Etat s'en va piocher dans le fond de Réserve des Retraites, monté par Jospin en période d'abondance pour prévenir le choc démographique du départ à la retraite des baby-boomers en 2020 -, qui soumettait disais-je l'idée d'une révolution "pacifique", Gandhi-style, sauf qu'au lieu de marcher sans but comme un hippie, tu marcherais jusqu'à ta banque pour retirer tes thunes, mettant ainsi un violent high-kick dans la face du capitalisme sauvage et des Erynies bancaires.

Sur le papier, on sent bien que c'est nul : même si Cantona inspire à des milliers de gens l'envie de niquer le système, le mieux que puisse générer une horde de bankrunners énervés, c'est une pénurie de petites coupures dans les quelques banques où ils seront plus de trois à participer à l'opération. Ca fera chier un ou deux directeurs d'agences, mais le capitalisme financier risque de s'en remettre assez rapidement.

Quand bien même le King entrainerait dans son sillage des millions de français, il apparait douteux que cela fasse vaciller la BNP ou la Société Générale. Sauf si dans le lot il y a Liliane Bettencourt, mais elle peut pas, sa quête d'harmonie familiale lui prend tout son temps. Il ne faut donc pas chercher dans l'injonction de Cantona et dans son relais par une webosphère exaltée de sourde menace contre les puissances financières, c'est mignon mais ça casse pas trois pattes à un trader.

En revanche, l'appel de Cantona et la caisse de résonance que lui offrent des médias ravis de cet iconoclasme facile à expliquer nous dit deux choses :

1- L'alternative aux "banques"

Au dela de l'idée de "faire tomber les banques", attirer l'attention sur des systèmes bancaires alternatifs est tout sauf anodin. Je compte au nombre de ceux que ça défrise de ne pouvoir empêcher ma banque d'aller faire des loopings boursiers avec mon PEL, et la "crise" doublée de l'arrogante santé des grandes banques incite beaucoup de "clients" moyennement ravis à douter de la chaleur bienveillante et désintéressée que leur porte leur conseiller financier.

Et si aucun mouvement de masse ne plongera d'un coup la finance dans le chaos, la publicité offerte à d'éventuelles alternatives* bancaires (Crédit Coopératif, par exemple) ou la manifestation collective d'une volonté de ne plus "subir la finance" peuvent déboucher sur une désaffection progressive des Français pour le crédit à tout prix, les intérêts peu regardants, et plus généralement les "responsabiliser" sur leur façon de consommer la banque.

*Un bémol cependant : un journaliste de France Culture pointait ce matin qu'aucune banque mutualiste indépendante n'existait, l'Etat n'autorisant pas leur création sans adossement préalable à un grand groupe.

Je n'aime pas qu'on s'adresse au consommateur plutôt qu'au citoyen, mais là c'est un mélange des deux qui me parait salutaire. Au même titre que je conçois une manifestation, non comme l'expression d'une volonté d'imposer la voix de la rue à l'Etat mais comme une façon de sensibiliser la majorité silencieuse à un sujet dont elle se désintéresse (encouragée bien entendue par le sournois paternalisme de nos élites), l'appel de Cantona a vocation à interpeller. Gloser sur sa stupidité comme le font nombre de gens sérieux (Apathie, Schneidermann, etc...) c'est passer à côté du sujet.

2- Le mutisme de la gauche

En lançant un tel appel, Eric Cantona pose bêtement une question intelligente : comment FAIRE quelque chose pour sortir du marasme d'un capitalisme "réformé" par ceux-là même qui en vivent, et qui préfèreraient se scier une jambe plutôt que la branche sur laquelle ils prospèrent ?

Et ça, messieurs dames, ça s'appelle un geste POLITIQUE.

Et qu'il faille qu'un footballeur à la retraite s'y colle en dit long sur le degré de démission ou de médiocrité des gens dont c'est le métier.

Beaucoup de politiciens ont pris la parole sur le sujet. Certains en rient, d'autres s'en inquiètent, quelques uns s'en réjouissent et beaucoup le balaient d'un revers de main. Quoi qu'ils en pensent, et quoi que leur dicte leur positionnement du côté du pouvoir ou de l'opposition, ils devraient tous partager un sentiment, et un seul : la honte.

Parce que c'est ERIC CANTONA qui offre une perspective d'action contre la "crise", qui exalte une solidarité et un engagement qu'ils devraient perpétuellement rechercher. C'est ERIC CANTONA qui propose, interpelle, et eux qui commentent, comme mille incompétences dépassées (au rang desquelles votre serviteur) qui se targuent d'analyse pour mieux masquer leur cruelle absence de perspectives et d'invention.

T'ES OU, LA GAUCHE, PUTAIN ? Elle est où, ton énergie, ta vitalité, tes propositions rêveuses, peut-être, mais justes et fédératrices ? Il est où, l'espoir que tu offres d'un avenir meilleur, d'un réel changement ?

Qu'il s'incarne dans un centriste financiariste ou une ambitieuse sans scrupules, dans le combat de coq qu'ils se livrent sous les yeux ravis des médias que cela libère du fond pour un spectacle de pure forme, en dit long sur le délabrement d'une "opposition" inaudible.

Et on porte tous notre part de responsabilité dans ce triste constat : lorsqu'on écoutera les idées politiques plutôt que de regarder ceux qui les portent, on n'aura peut-être plus besoin des footballeurs pour initier les vrais sujets.

mardi 23 novembre 2010

Booste ton nombril

Hier, c'était "journée de mobilisation" contre la réforme des retraites. Je n'y suis pas allé, et il semblerait que j'ai été suivi dans ma démarche par une écrasante majorité de français, ce qui montre bien que l'influence de ce blog ne se limite pas au décompte de ses lecteurs.

Je n'y suis pas allé, d'abord parce que j'avais oublié, et ensuite parce que je me suis résigné, ce dont je ne tire aucune fierté, et qui ne témoigne d'aucune "lucidité" bienvenue, c'est juste de la flemme et je remercie les rares courageux qui sont allés dans la rue dans le froid et l'indifférence générale pour rappeler qu'un tel mépris des élites pour le reste de la population française dépasserait forcément les bornes de la "séquence politique" définie par les partis et les médias.

Je vaquais donc à mes modestes occupations professionnelles, et alors que se dissipait progressivement ce sentiment de honte démissionnaire, le destin (cet enculé facétieux) est venu frapper à ma porte pour me rappeler que pareil renoncement moral se payait toujours.

En l'occurrence, le destin prenait la forme d'un mail de ma boîte annonçant une conférence interne sur le thème suivant : "Comment booster sa retraite ?" et qui se déclinait comme suit :
Allocations, pensions, rentes, taux : qu’on les conjugue au présent et pour nombre d’entre nous au futur, l’essentiel est de ne pas les mettre au conditionnel !
Or, la réforme en cours mettant en exergue les limites du régime actuel de retraites par répartition, nous manquons tous de visibilité quant à l’évolution du système dans sa globalité et au niveau de notre future pension de retraite en particulier.
De fait, il appartient aujourd’hui à chacun d'entre nous de préparer son avenir, à l'aide notamment des différents outils d'épargne retraite.(...)
Les intervenants issus de la filiale [PLIPLIPLIPLI] se proposent de répondre à ces questions, afin de nous aider à y voir plus clair, et nous donnent quelques conseils pour booster notre retraite.
Cela part certainement d'une bonne intention, hein, c'est sympa de vouloir éloigner de ses collègues et collaborateurs le spectre de la paupérisation. Mais recevoir cet hymne à la capitalisation privée, cet ode à l'individualisme forcené ou il appartient aujourd’hui à chacun d'entre nous de préparer son avenir" le jour même où quelques milliers d'inconscients un peu plus déterminés que les autres vont rappeler combien la réforme récemment votée menace les plus faibles d'entre nous, ça me laisse un goût amer dans la bouche. Parce que ça me rappelle d'abord que, sauf catastrophe, je fais partie des "protégés" sans le mériter aucunement. Et ensuite pour ce que cela dit du degré d'atomisation de notre société, où l'important n'est plus de construire un système satisfaisant pour tous, mais de se mettre à l'abri, si possible en filant ses thunes aux banques et aux assurances qui "boosteront" (j'ai du mal à décrire la haine que j'éprouve pour ces "jeunismes" de demeurés) avec enthousiasme nos petits patrimoines.

Un témoignage supplémentaire de la guerre idéologique du "chacun pour soi", menée tambour-battant par une droite qui accumule les escarmouches contre toute construction (et protection) collective comme Eric Woerth les casseroles ou Moundir les aphorismes dyslexiques, et qui est en passe de l'emporter devant l'apathie de l'opposition et la résignation des glands qui considèrent la conscience politique comme une lubie ringarde depuis que le capitalisme nous a conduit à cette putain de fin de l'Histoire.

A dans trois mois pour ma prochaine déprime sur le thème du "comment minorer ses dépenses santé" suite à "la réforme en cours mettant en exergue les limites de notre système de sécurité sociale".

En attendant abattez les tous, Dieu reconnaitra Michael Essien.

jeudi 18 novembre 2010

Ronchonnons sur Mélenchon

C'est quelque chose qui va surprendre, mais comme vous êtes aussi nombreux que les genoux d'un unijambiste, je doute que cette révélation génère d'indisposants remous dans le monde réel : Mélenchon m'énerve.

Je souscris bien entendu toujours au fond du discours, jusque dans ses outrances (dénoncer partout l'oligarchie, jusqu'à la caricature). Mais la construction émergente de son personnage médiatique, s'enfermant progressivement dans ce détestable rôle de clown (pardon, on dit "bon client") qui plait d'autant plus aux médias qu'ils peuvent se gargariser de la forme du discours sans jamais se pencher sur son sens, ça me gonfle. Et ça me gonfle d'autant plus que ce n'est jamais complètement à son insu qu'on se retrouve à agiter ses grelots pour divertir les imbéciles.

Bref, le voir chez Drucker me désole, et je crains que cette "visibilité" dont il jouit nouvellement ne soit aussi éphémère qu'inutile pour sa démarche politique.

Et pourtant, chaque fois que le renoncement point et que je m'apprête à lui en vouloir VRAIMENT de son spectacle narcisso-gauchiste, il se débrouille systématiquement pour dire quelque chose de juste. Et la justesse est tellement rare en ces temps de communication politique où ne s'affrontent plus qu'hypocrisie et calcul contre hypocrisie et calcul, que je ne peux qu'y souscrire.

Je ne sais pas si je veux que Jean-Luc Mélenchon soit président de la République. Je sais en revanche que ce qu'il dit mériterait d'être écouté par tous, indépendamment des idéologies et convictions de chacun, et si possible au-delà de la simple forme de son discours.

Et cette écoute, je t'y enjoins, mon unique lecteur (même si t'es un bot), et je suis désolé de faire peser sur tes frêles épaules le poids d'un tel enthousiasme.

(bon et puis j'ai investi dans son bouquin, "Qu'ils s'en aillent tous", que je critiquerai certainement ici en essayant d'éviter les yeux de Chimène)

Du pipeau présidentiel

Le drame de faire des brouillons sur l'actualité, c'est que quand on les oublie, et qu'on les publie dix jours plus tard, on a l'air d'un con. Voilà, vous êtes prévenus.

Je ne suis pas plein d'abnégation. C'est un aveu terrible, douloureux, et d'autant plus cuisant que je le fais sans ironie aucune : je n'ai pas cette volonté et cet orgueil qui pousse à se faire violence, à se dépasser pour un objectif, le pouvoir, le bonheur, le bon, que sais-je. Je laisse couler, je suis passif, je m'en fous, je subis.

Ainsi, mardi soir, j'aurais voulu regarder Nicolas Sarkozy partager avec nous son bilan et sa vision, mais j'ai tenu dix minutes avant de zapper sur France-Russie Espoirs. J'ai beau jeu ensuite de moquer l'absence de conscience politique des légumes qui me tiennent lieu de collègues, et en plus c'était même pas un bon match. Mais les dix minutes m'ont quand même permis un constat : ce mec est d'un culot qui confine au prodige. Relancé un peu teigneusement par David Pujadas sur le discours de Grenoble et plus spécifiquement la chasse aux Roms qu'il a déclenché, Nicolas Sarkozy
(je m'autorise un petit aparté : sache, lecteur, que je ne sais jamais comment désigner le président de la République.
"Président de la République", je n'y arrive pas, une sorte de déni de la réalité et d'espoir fou que ce soit une erreur et qu'en réalité il soit préposé aux à l'entretien sanitaire dans une mine de potasse en Géorgie.
"Le chef de l'État" ça me fait déjà moins mal, mais tu sais que dans mon bolchévisme effréné j'ai quelque sympathie pour ce pauvre État et j'ai pas envie de remuer le couteau dans la plaie.
"Sarko", ça sonne trop familier, presque "copain", et bon, enfin t'as compris.
"Nicolas", j'en parle même pas.
J'opte donc en général pour le lourd mais neutre "Nicolas Sarkozy". Voilà, tu sais tout).
Nicolas Sarkozy, disais-je, répond à D.Pujadas que "miroir magique, ça revient sur toi". Plus précisément, le voilà qui explique à la France (via la télé) que s'il est venu à Grenoble, et s'il a discouru de choses que même les plus aimables d'entre nous qualifieront "d'amalgames puants", c'est parce que les journaux ouvraient leur 20H dessus et que, bon, il était obligé, et que s'ils voulaient pas qu'il en parle, ils avaient qu'à pas en parler eux-mêmes.
(vous avez remarqué comme Nicolas Sarkozy n'aime pas les ne et les n' dans ces discours ? Il les mange systématiquement, ce qui donne en général l'impression d'un niveau de syntaxe proche de celui d'un joueur de foot)

Outre que le mensonge est consternant d'évidence (Hortefeux n'a évidemment pas attendu les journaux de 20h pour aller montrer les muscles gouvernementaux à Grenoble), ce pitoyable alibi m'apparait comme plus criminel encore que le crime originel. Car que comprendre sinon qu'il serait parfaitement normal que le Président de la République (cette fois je l'écris, mais c'est pour être solennel) gouverne au gré des reportages du 20h. On savait déjà son goût pour les sondages, on est désormais prier de croire que sa seconde boussole, c'est ce que raconte TF1 entre la Roue la Fortune et la météo.

Plus sérieusement, il est désormais évident que Nicolas Sarkozy nous prend, nous, ses "chers" compatriotes", pour des imbéciles finis, et à ce degré de mépris pour nos intelligences, on se demande bien sous quelles couches d'arrogance et de préoccupations nombrilesques est enfoui la conscience de l'intérêt général qu'il est censé représenter. Sûrement coincée entre ses souvenirs du stade anal et le désir instinctif d'épouse sa mère, je ne sais pas si les facs de psycho sont dotées de sections "archéologie" pour nous renseigner.

Pour le reste de l'allocution (j'avais écrit "élocution", mais c'est pas joli de se moquer des handicapés, et puis essayez de bien prononcer les mots en ayant à la fois un sourire crispé pour avoir l'air sympa et les machoires serrées pour avoir l'air déterminé), j'ai du m'en remettre à internet, et je dois avouer que je ne suis pas dessus.

En m'appuyant sur ça, ça, ou ça, j'en déduis que j'ai raté un joli résumé de ce que la politique actuelle fait de plus méprisable, à savoir :
- s'appuyer sur l'exemple étranger pour justifier n'importe quelle décision, fut-elle l'inverse de celle d'il y a trois mois
- étayer de chiffres sortis du chapeau des constats plus que discutables
- présenter chacun de ses choix politiques comme une évidence sans alternative
- mentir effrontément (le passage sur Woerth qui aurait "souhaité quitter le gouvernement" alors qu'il déclarait trois jours plus tôt sur une petite radio confidentielle, RTL, vouloir y rester, est particulièrement savoureux)
- agresser l'interlocuteur (choisi préalablement pour sa grande pugnacité) pour esquiver les questions qui fâchent et pour lesquelles aucun élément de langage n'a été préparé par les spin-doctors de l'Elysée

Qu'on se rassure cependant, personne de réellement important n'a pris la peine de commenter sérieusement cette intervention.
A gauche, on a lu des communiqués probablement rédigés avant même le passage télévisé, avec des gros morceaux de "président affaibli", "éloigné des français", et autres petites phrases construites pour buzzer plutôt que pour éclairer.
A droite, on a lu des communiqués probablement rédigés eux aussi avant le passage télévisé, avec des gros morceaux de "les mots justes", "langage de vérité" et autre "volonté de poursuivre les réformes" qui sonnent aussi juste qu'une chanson live de Coeur de Pirate.

Une petite mention spéciale à Frédéric Lefebvre et son "le visage d'un président à la hauteur de la hauteur des attentes des Français", qu'on pourrait presque prendre pour un chambrage à la hauteur de la hauteur de mes attentes si ça n'émanait du plus servile des grognards de la majorité.

(liste des principales réactions ici)

Bref, on a une nouvelle fois assisté (enfin, "vous", moi j'ai regardé du foot) à deux heures de communication politicienne, bassement calculatrice, aussi dépourvue de respect pour les citoyens téléspectateurs qu'éloignée de la politique au sens noble du terme que

mercredi 10 novembre 2010

L'emploi et l'allégresse

Hey, toi le jeune !

Ouais, toi, avec tes boutons, tes converses et tes slogans de mongoliens. Tu veux du boulot ? Pas du fatiguant hein, un boulot cool, bien payé, pas compliqué, avec des horaires comme t'as envie et plein d'avantages du genre voiture de fonction, déjeuner gratuit, et plein d'invitations à des soirées. Bon, faut venir bien habillé, ça va te réclamer un effort considérable, mais ça vaut le coup, promis.

Intéressé ? Cool.

Alors tu vois, tu fais comme Claude, une belle lettre de motivation (t'es pas obligé de la faire aussi longue, mais prends exemple niveau flatterie, c'est un maître), tu trouves un pote pour la publier dans son journal de droite, et je te donne 50% de te choper un poste peinard de secrétaire d'Etat ou de chef d'une commission inutile.

Allez bon courage, et n'oublie pas de finir sur une citation pour faire joli(mais pas trop intello, faut que le RH comprenne).

Volapuk bancaire

Quand j'étais petit (je veux dire plus encore qu'aujourd'hui), j'adorais recevoir du courrier. Je crois d’ailleurs pouvoir généraliser à beaucoup d’enfants cet enthousiasme devant l’enveloppe timbrée à son nom, enthousiasme éphémère puisqu’avec l’entrée dans l’age adulte apparaît ce courrier qui n’en mérite pas le nom, ces ersatz de lettres qui te donnent des nouvelles non pas de tes proches, mais de tes créanciers. Et je connais peu de gens que la réception d’une facture ou d’une relance pour s’abonner au Monde avec une économie de 33% et un réveil en cuir offert emplit d’une exaltation similaire à celle de Barnabé, 8 ans, recevant une lettre de sa mamie pour son anniversaire.

Troquer cette joie juvénile pour une indifférence blasée à l’égard du courrier me semble d’ailleurs un bien meilleur marqueur d’entrée dans l’age des responsabilités que, par exemple, la calvitie. Je dis ça au hasard, évidemment.

Pour ma part, n’étant entré dans l’age des grandes personnes que du bout des orteils, je suis partagé : les enveloppes « connues » - le loyer, le relevé de compte, la relance mensuelle pour que je donne des sous à la Croix Rouge - m’indiffèrent désormais en digne adulte que je suis ; en revanche, toute enveloppe non-identifiée me ramène à mes jeunes années et c’est avec une précipitation fébrile que je décachette les lettres mystérieuses. Avec au bout, souvent, la cruelle désillusion d'une pub ou d'une facture mieux déguisée que les autres.

La semaine dernière, un courrier de ce type est arrivé : enveloppe grand format non siglée à une date ne correspondant à aucune échéance des impôts ou de mon abonnement à la gazette du cheval d’arçon, typiquement le genre de lettre qui m’intrigue et me fait gravir mes escaliers un peu plus vite pour jeter mon sac par terre et la décacheter. Donc je gravis, je jette, je décachette, et je tombe sur…une lettre de la Société Générale.

Déçu, je m’apprête à poser le courrier sur le tas « courrier non lu qui ne sera jamais lu », dont le destin est de finir à la poubelle après six mois d’exhibition sur la table de mon salon, lorsque pris d’une inspiration subite, je me lance dans la lecture de la première page.

Monsieur, (déjà j'aime pas trop quand on m'appelle Monsieur)

Au titre de l’épargne salariale mise en place dans votre entreprise, [Lililii](attends, je tiens à ma vie privée), vous détenez en date du 30 septembre 2010 des parts dans le compartiment suivant du FCPE ARCANDIA géré par Société Générale Gestion (S2G) et dont le dépositaire est Société Générale : ARCANDIA Sécurité

(là je me dis : putain, j’ai des PARTS dans un FONDS. Ça sonne milliardaire, ça, non ?)

Afin de rendre la structure du fonds ARCANDIA plus lisible, le Conseil de Surveillance du fonds a été informé, et le cas échéant a adopté, au cours de sa réunion du 29 juin 2010 et sur proposition de la société de gestion, plusieurs modifications, dont les principales caractéristiques vous concernant sont les suivantes :

ARCANDIA Sécurité : Ce compartiment devient nourricier du fonds maitre AMUNDI TRESO ISR. En conséquence, il sera investi en permanence et en totalité dans le FCP AMUNDI TRESO ISR, de même classification que le compartiment.

(Bon t’es gentil mais je m’en fous, moi, de vos histoires de nourrices et de maîtres, je veux juste savoir combien de millions j’ai)

Nous attirons votre attention sur le fait que les derniers ordres sur les fonds absorbés seront exécutés sur la valeur liquidative du 15 novembre 2010 et que les demandes de rachat à prix plancher sur les fonds absorbés non exécutées sur la valeur liquidative du 15 novembre 2011 seront annulées

C'est là que j'ai laissé de côté ma soif vénale de millions compartimentés pour apprécier à sa juste mesure ce chef d’œuvre de poésie financière. Sérieusement, quelqu’un comprend ? Je veux dire, grammaticalement je saisis bien la structure de la phrase, mais elle n’éveille en moi qu’un néant trouble, un peu comme si j’essayais de lire un traité de physique quantique devant un match de foot.

Ça part pourtant d’une bonne intention, ils veulent «attirer mon attention» sur un truc certainement important, puisqu'ils m'envoient un gros courrier et qu'ils m'appellent «Monsieur». Mais pourtant, malgré mes efforts, mon attention n’est pas attirée : elle se débat même vigoureusement pour que je la laisse se focaliser sur une BD, un mail, une mouche qui vole, ou même sur ma vaisselle, mais pitié pas ça.

Et je culpabilise, de ne pas comprendre. Mais après cet instant de culpabilité, une sourde interrogation me traverse (de à ) : à qui s’adresse ce charabia ? Le monsieur qui m’envoie (fort gentiment, et je l’en remercie) ce courrier s’attend-t-il vraiment à ce que je comprenne son jargon de banquier ?

La haute estime dans laquelle je tiens nos amis financiers m’incite bien sûr à penser que tous les efforts ont été fait pour simplifier et clarifier cette communication, et que son but premier est de m’informer, en tant que client respectable et respecté, de tout ce qui pourrait être important pour moi, mon bonheur et l'épaisseur insigne de mon porte-monnaie. Mais malgré tout, je doute. Je doute, et je me demande si cette imbitable prose n’est pas volontairement opaque, comme pour mieux me dire « on gère, ne t’en occupe pas, c’est pas de ton niveau ». Et me dire ça, à moi qui ai un BAC+5 et des copains contrôleurs de gestion, (bon, pas beaucoup, rassurez-vous) , je suppose que ça revient à faire un gros doigt à beaucoup d’autres.

Non que je découvre la proche parenté de la communication financière et de l’ésotérisme, mais c’est la première fois que je me la prends dans la figure.

Du coup, j'ai répondu :

"Monsieur,

C’est toi le prix plancher sur les fonds absorbés non exécutés sur la valeur liquidative de ta sœur. Rends-moi l'argent, maintenant.

Cordialement,

O."

PS : Je reviendrais ultérieurement sur la cohérence dont je fais preuve en ayant recours (via mon employeur) à un fond de pension dont je combats le spectre en manifestant. Là je n'y ai pas encore vraiment réfléchi.

samedi 6 novembre 2010

Quand vous voulez on en discute.



(le sous-titre est assez modérément fidèle à la réalité, mais enfin, c'est Télé-Loisirs)

vendredi 5 novembre 2010

[Livre] lemonde.hier




"Un monde d'hier" paraît pour la première fois en 1944. Deux ans après le suicide de son auteur, dix ans après son exil anglais puis brésilien, loin de l'air autrichien rendu irrespirable par la montée du nazisme. Autobiographie crépusculaire, le livre retrace la carrière et la vie d'un Zweig humaniste, profondément attaché au Vieux Continent, et désespéré par les déchirements des deux guerres mondiales qu'il traverse.

Toujours latent, le Stefan Zweig auteur est plutôt absent de cette chronologie européenne. Si la littérature jalonne sa vie, il ne s'attache jamais à la genèse ou à la description de ses œuvres. Tout au plus mentionne-t-il certaines découvertes qu'il juge importantes (traductions de Rimbaud, Keats, biographie de Dostoievski,...).

Le sujet du livre n'est donc pas l'auteur mais l'homme, l'européen, ses amitiés nationales et internationales, ses admirations, ses combats publics ou privés pour préserver la paix et la culture d'une Europe qu'il ne conçoit qu'unie et préservée des tensions nationalistes. Il tombe mal, jamais le content ne sera aussi violemment secouée par la xénophobie et les conflits fratricides qu'alors.

Zweig ne nous laisse jamais succomber à l'optimisme de ses jeunes années. Dès la préface, il nous informe de ses intentions :retracer, à travers sa modeste expérience d'individu européen du début du siècle, comment nous en sommes arrivés "là", "là" désignant le sommet d'horreur et d'inhumanité atteint par Hitler et ses séides en 1942, date du point final de cette oeuvre et de l'existence de son créateur. Ses moments de joie, ses espoirs et ses enthousiasmes s'accompagnent donc tous d'un goût amer, conscients que sont l'auteur et son lecteur de leur caractère éphémère et vain. Amertume cruelle, car Zweig mène alors une vie généreuse et incroyablement riche en rencontres (Strauss, Rilke, Joyce, Freud, l'homme rencontre et se lie d'amitié avec quasiment tout ce que l'Europe compte de génies à l'aube du vingtième siècle).

Loin de se contenter de la simple contemplation rétrospective de ses amitiés, l'auteur nous communique toute l'universalité qui motive alors le milieu littéraire qu'il fréquente, et s'attache en particulier à décrire ses démarches de rapprochement franco-allemand en pleine première guerre mondiale, sa lutte contre la xénophobie des masses, son dégoût de la propagande guerrière qui jettera l'Europe dans la guerre, puis dans les bras d'Hitler.

La finesse d'analyse de Zweig se retrouve dans la distance qu'il sait prendre avec son époque et ses sursauts politiques. Refusant systématiquement le rôle public qu'on lui offre - il est alors au sommet de sa gloire - il vit l'entre-deux-guerres en observateur avisé, et de plus en plus inquiet, des passions humaines et des manipulations de masse. Voyant ses amis tomber qui dans le nationalisme, qui dans le communisme bolchévique, c'est de plus en plus seul qu'il défend l'idéal d'une Europe unie et digne héritière des Lumières. Et c'est dans une solitude sans rémission qu'il s'exile, à Londres, quand les nazis commencent à brûler ses livres.

"Un monde d'hier" pourrait donc être une lecture indispensable, comme pan de nôtre histoire contemporaine revisitée par une de ses plus grandes plumes. C'en est peut-être une. Mais elle est frustrante, parce qu'on attend de Zweig des analyses et des explications qui ne viennent pas, soit qu'il s'y refuse soit qu'elles lui échappent. On sent sa prudence, puis sa méfiance à l'égard des discours politiques qui structurent puis déchirent l'Europe, et c'est un témoignage d'importance que d'avoir un oeil allemand aussi avisé quand on est français, et incidemment très ignorant de l'histoire de "l'ennemi" d'alors. On peine pourtant à en tirer quelque chose d'universel, perdus que nous sommes dans l'énumération de ces petites et grandes rencontres, de ces petits et grands combats.

Jamais lyrique, jamais grandiloquent, Zweig s'adresse à notre cerveau plutôt qu'à nos tripes, s'avérant plus historien que romancier. Bien sûr, quelques passages offrent des résonances particulières avec notre vie à nous : son constat désabusé du naufrage de la parole littéraire, influente et populaire en 1914, impuissante et inaudible en 1939, la force des mots anesthésiée par 20 ans de propagande brutale, trouve nécessairement écho dans notre époque où plus aucun mot n'a de valeur propre, où tout est com' et publicité. Mais la plupart du temps Zweig ne nous offre qu'une place de témoin, privilégié mais distant, de la marche du monde d'hier, privant ainsi son récit d'une envergure plus large et d'une vision plus ample, plus intemporelle.

On attendait forcément plus du testament d'un aussi grand auteur.

Le monde d'hier, souvenirs d'un Européen (1944) - Stefan Zweig.

[Flim] Wolfman



Faire un film de loups-garous, c'est cool. Les scènes où les mains gonflent, où la gueule s'allonge, où les poils poussent sur les pieds, c'est à la fois exaltant et rigolo, c'est un bon moment de cinéma. Le problème, c'est qu'en général ça dure deux minutes, et qu'on ne peut pas en caser plus de deux ou trois sans risquer la répétition.

2x3 = 6 minutes.

Et le drame du cinéma de nos jours, c'est qu'on se retrouve obligé de faire des films d'une heure et demie, alors qu'on n'a pas envie, nous on a juste envie de montrer des poils qui poussent, des dents qui poussent, et des hommes qui poussent (des hurlements, hého).

Alors on meuble, et comme on n'est pas tellement motivé, on meuble un peu n'importe comment : un scénario sans intérêt, des personnages foireux (Benicio del Toro est aussi crédible en comédien de l'époque victorienne que Dolph Lundgren en pianiste du ghetto de Varsovie - c'est un exemple, à ma connaissance ça n'existe pas), le film ne va nulle part, et on s'en rend trop vite compte pour se faire la moindre illusion passées les vingt premières minutes d'exposition.

Alors on s'ennuie poliment, et les acteurs aussi, et c'est pas grave, ça arrive, et puis maintenant avec les smart-phones, on peut faire autre chose pendant le film, c'est sympa.

Je mets quand même trois étoiles parce que je trouve qu'Anthony Hopkins avec une barbe, il a presque pas besoin de maquillage pour avoir une tête de loup-garou, et puis aussi parce qu'un film gothique sans My Chemical Romance au générique, ça fait du bien. Pour le reste, gardez plutôt vos souvenirs de "Wolf" avec Nicholson, à l'époque on était moins exigeants et puis on avait pas d'iphones.

The Wolfman (2010) - Joe Johnson
Avec B.Del Toro, A.Hopkins,...

jeudi 4 novembre 2010

Là-haut sur la Montaigne



Loin de moi l'idée de prêter de mauvaises intentions au FMI et à ses dirigeants, il s'agit d'une respectable institution qui lutte de par le monde pour l'élévation des profits de l'homme et contre la solidarité l'archaïsme soviétique, et on ferait moins les malins si elle n'était pas là pour rassurer nos riches et nos fonds de pension qui, rappelons-le, portent à bout de bras notre économie et incidemment notre bonheur. Mais quand même, parfois je lis des choses, et je tique.

Par exemple, hier, j'ai lu un article rapportant les conclusions d'une étude de l'Institut Montaigne, célèbre club du patronat chapeauté par Claude Bébéar, grand manitou du CAC40. Cette étude, qui se fixe trois objectifs dont celui de "Réduire les rigidités du système" (à savoir un "droit du travail particulièrement contraignant (...) qui crée des effets de seuil sécurisant pour ceux qui sont du bon côté de la barrière (en CDI ou personnels statutaires de la fonction publique"), préconisait pour lutter contre le chômage - et en particulier celui des jeunes - de supprimer le CDD, et de "flexibiliser" le CDI. Cela afin de réduire cette abominable "sécurité de l'emploi" qui nuit tant à la compétitivité de nos entreprises en regard des multinationales chinoises.
Je vous invite à lire le rapport, ou au moins son résumé, il est très joli.

Jusque là tout va bien, pas de raison de tiquer, je suis à peu près au courant des aspirations du MEDEF (et de ses différents think tanks) vis à vis de nos contrats de travail, et plus généralement de tout ce qui peut contrarier l'écrasante domination de l'entreprise sur son salarié. En revanche, ce matin, je lis (je n'arrête pas) un autre article mentionnant une interview d'Olivier Blanchard, "chef économiste du Fond Monétaire International". Celui-ci y félicite la France pour sa réforme "importante" et "substantielle" des retraites, et à 48h d'une nouvelle manifestation contre cette réforme, il me semble effectivement important de rappeler que les gens sérieux avec des cravates s'en félicitent, et qu'il n'est plus très sérieux d'aller souffler dans des vuvuzuelas sur le Boulevard Voltaire.

Mais surtout, notre chef économiste du monde enchaîne sur la nécessité d'une "réforme de l'emploi des jeunes". La solution ? "Selon lui, le système «dual» actuel avec des contrats à durée indéterminée (CDI) et déterminée (CDD) «ne bénéficie pas aux jeunes» et doit être rendu «plus égal».". Dis-donc, ça ressemble un peu aux propositions de l'Institut Montaigne ça, non ? C'est fou comme les grands esprits se rencontrent : le MEDEF dit qu'il faut réformer le contrat de travail, alors que dans le même temps, le FMI dit qu'il faut réformer le contrat de travail.

Attention, rien ne dit que le FMI souhaite, au même titre que le MEDEF, "plus de flexibilité". Peut-être recommande-t-il à l'inverse une réforme du contrat de travail favorable au salarié, afin de réintroduire un peu d'équilibre dans la relation entre salariés et employeurs.

Ne nous inquiétons pas, nulle doute que s'organisera prochainement un débat responsable et ouvert sur le sujet, au même titre que celui sur l'importante et substantielle réforme des retraites.

Premier sinistre



Alors, vous êtes plutôt Borloo, ou Fillon ? Qu'est ce que vous en pensez, hein, plutôt Fillon ou plutôt Borloo ? Y en a qui disent que ce serait plutôt Borloo, mais d'autres penchent plutôt pour Fillon, vous savez.

Après nous avoir (à raison) répété sur tous les tons combien le premier ministre était ectoplasmique sous Sarkozy, combien les pouvoirs étaient concentrés dans les mains du seul président de la République, de Claude Guéant, ou d'une masse de conseillers plus ou moins occultes, court-circuitant complètement un Matignon fantôche, dépouillé de tout pouvoir décisionnel, tout juste bon à chatouiller la glotte des députés UMP pour les amadouer, bref, après nous avoir convaincu que le rôle de chef du gouvernement avait à peu près autant de substance et d'autonomie que la présidence de la Halde ou de France Télévisions, voilà que nos amis démédias font mine de se passionner pour LA question cruciale de cette fin de quinquennat : qui qui sera premier ministre après le remaniement ?

L'Express, Libé, France Info, , impossible d'échapper à ce questionnement métaphysique : Fillon va-t-il rester ? Borloo va-t-il le remplacer ? Quelle couleur de pull va le mieux avec ma cravate de Président de la République ?

Non content d'envahir progressivement la presse, cette interrogation vampirise progressivement tout l'espace public. Jean-Michel Apathie sur RTL, mais probablement beaucoup d'autres, ne peuvent inviter qui que ce soit sans lui demander qui son avis, qui son pronostic sur le choix de Nicolas Sarkozy. Tu veux parler des retraites ? De la réforme à venir de la sécurité sociale ? Des barbouzeries qui visent les journalistes qui se penchent sur l'affaire Woerth/Bettencourt ? Ben t'attendras, il y a des choses plus urgentes.

Rien ne m'agace plus (à part les relances de Sylvain Armand) que cette focalisation des médias, et en particulier des "intervieweurs stars" plus ou moins autoproclamés, sur la tambouille politicienne aux dépends des vrais sujets politiques. Parce que, écrivons le en gros pour ne laisser personne passer à côté :

FILLON OU BORLOO, ON S'EN FOUT !

La politique gouvernementale s'impulse et se dirige à l'Elysée, le premier ministre est au mieux un hochet politique, au pire une serpillère, mais il ne dispose d'aucun pouvoir politique dans l'état actuel des choses. Maintenir l'un ou nommer l'autre est un choix cosmétique, peut-être tactique pour passer un message à tout ou partie de son électorat, mais il ne s'agit en aucun cas d'un sujet d'importance.

Si nous le savons, comment les gens dont l'analyse politique est le métier pourraient en être dupes ? Sont-ils de bonne foi, intimement persuadés que ce qui agite leur microcosme est d'une importance nationale ? Ou sont-ils sciemment complices de ce nouvel écran de fumée devant les choses qui fâchent ?

Soyons sympathiques avec les laquais, et accordons leur le bénéfice du doute.

Fais du buzz avec les octopodes




Dans la vie, il y a des choses graves, importantes, dont l'appréhension n'est pas immédiate et s'avère parfois douloureuse et complexe, mais qui contribuent à nous construire, à nous déterminer, à nous élever.

Et puis il y a Fadela Amara.

Fadela Amara, qu'il eut été dommage de méconnaitre, et pour ça il nous faut remercier Nicolas Sarkozy dont le sens du casting jamais ne se dément, est depuis maintenant 3 longues années la caution "banlieue" de notre cher gouvernement.

Bien incapable d'exister politiquement tant son secrétariat d'Etat à la ville ressemble à un emploi fictif (et son "plan banlieue" à Duke Nukem Forever avant qu'il ne renaisse de ses cendres), Fadela garde cependant une certaine visibilité grâce à son langage fleuri ("je kiffe", "j'me la raconte pas", "j'le dis cash", t'as compris qu'elle vient de la téci ou bien ?), au naturel travaillé, et qui amuse beaucoup dans les grands médias, d'autant qu'il a le bon goût d'enrober un discours aussi creux qu'un Casimir pendu au mur.

Et donc Fadela est régulièrement de sortie sur les plateaux télé, histoire d'aller ne rien dire mais façon "wesh wesh", illustrant par là-même la formidable ouverture sarkozyste qui agrège sans parti-pris ni idéologie tous les talents de France, formant un espèce d'orchestre du pipeau aussi cosmopolite qu'indéniablement compétent. Elle était à ce titre invitée de l'émission "Mots Croisés" d'Yves Calvi pour débattre avec un panel varié (Elisabeth Levy, qui trouve que la France s'islamise et que ça fait peur; Ivan Rioufol, qui trouve que la France s'islamise et que ça fait flipper, et sûrement d'autres gens persuadés que l'Islam menace la République) de ce qu'est "Etre Français". L'occasion de dire plein de choses, dont ça :




Retranscription :
"Il faut aussi qu'on se dise qu'on est content et fier de notre histoire parce qu'elle permet de nous, elle permet de faire briller les valeurs universalistes il se trouve que c'est chez nous mais elles doivent être partagés par tout le monde mais surtout que la littérature ou tout ce qui fait la grandeur de la France il faut quand même qu'on se dise que c'est BIEN et qu'on arrête de se, de se taper la poulpe si je puis me permettre en disant systématiquement que..." *brouahah*


Outre qu'elle réussit l'exploit de ne rien dire du tout, et mal, dans cette tirade, je me suis permis d'attirer votre attention sur l'expression employée par Fadela : "se taper la poulpe". Pour "battre sa coulpe".

"Se taper la poulpe". Je crois que de honte je n'oserais plus jamais prendre la parole en public, à sa place. Ca m'amuserait presque si ce n'était pas consternant.

jeudi 21 octobre 2010

Y en a qui osent tout

Puisqu'il n'existe pas de limite au foutage de gueule, permettez-moi une devinette :

Qui a dit, au terme d'une diatribe anti-gréviste à base de prise d'otage et de ça se passera pas comme ça : "Et c’est encore une fois les petits qui vont trinquer pour les autres ! ?

Un indice : il mesure 1m20 selon les syndicats, et 1m80 selon la police.

Clique ici pour la réponse.
(et ici pour la source)

L'Etat à la niche

En ces temps où l'on voit poindre à l'horizon de la prochaine "séquence" gouvernementale la remise en cause de l'ISF en compensation de la suppression du bouclier fiscal, nouveau cadeau fait aux titulaires de gros patrimoines ("j'enlève une déduction d'impôt qui te rapporte 1 Milliard, et en échange je te lève un impôt qui t'en coute 5"), je conseille la lecture de cet article consacré à la niche fiscale liée à la cession de filiales par les entreprises, niche créée en 2004 mais creusée à la foreuse par Jean-François Copé en 2007.

Le principe est simple : une entreprise qui réalise une plue-value lors de la cession d'une filiale qu'elle a conservé plus de deux ans économise 28% de cette somme en impôts. Un abattement gigantesque consenti au nom de la "compétitivité fiscale" de la France au regard de ses voisins.

Les chiffres sont éloquents :
- coût pour l'Etat depuis 2007 : 12Milliards de moins-value (estimation basse, mais loin du chiffrage initial de 1Milliard réalisé par Bercy)
- gain pour l'Etat : quasi-nul (pas d'augmentation spécifique du taux d'installation de holdings en France)

Je ne doute pas que si j'étais lu par quelques spécialistes de la finance, de la fiscalité, ou des deux, je croulerais sur les commentaires m'expliquant que je ne comprends rien, que ça s'évalue sur le long terme, que si la niche n'était pas là ce serait pire, etc...Peut-être.
(c'est un "peut-être" de politesse, évidemment, en réalité vous dites n'importe quoi, virtuels contempteurs)

Pour ma part j'estime que cette niche est très représentative de la vision de la droite en terme de fiscalité, et plus généralement en terme de relation de l'Etat aux entreprises : celui-ci est vu comme un fournisseur des entreprises, à qui il propose une offre de service nécessairement concurrentielle, et son principal argument pour attirer (ou retenir) ses "clients" est un taux d'imposition faible.

Vous m'arrêtez si je me trompe, mais l'amour de la patrie et la fierté d'être français, ça ne fait pas partie des maximes de l'UMP ? Comment expliquer alors ces deux violentes entorses à l'orgueil national :
1- la France ne dispose d'aucun élément attractif la différenciant de ses voisins (et se retrouve donc par conséquent en concurrence "fiscale" avec la Roumanie)
2- la France a vocation à "servir" les entreprises dans l'espoir qu'elles s'acquittent généreusement d'un salaire (modéré, s'il vous plait) qu'on appellera l'impôt sur les sociétés et qu'on veillera à baisser régulièrement parce que les voisins rasent gratis.

Je ne voudrais pas tomber dans le plus niais des patriotismes, mais quand même, on a le droit de penser que la France a autre chose à offrir qu'un prix-plancher. Que ses niveaux d'aménagement du territoire, d'éducation, de sécurité et de services, qui sont certainement parmi les meilleurs du monde, ont une valeur que beaucoup d'entreprises ne mesurent peut-être pas à leur juste titre.

Mieux, on peut également penser que ce rapport de soumission ("salariale") de l'Etat aux entreprises, loin d'être inévitable, n'est lié qu'à l'abandon progressif, sous l'égide d'une droite finalement bien peu patriote, de tout rapport de force et de tout levier lui permettant de le maintenir ou de l'accentuer.

C'est à creuser, mais cela ne manque cependant pas de souligner un postulat trop bien déguisé sous couvert de "responsabilité" et de "pragmatisme" : la conception actuelle du rapport public/privé n'a rien d'intangible. Elle est idéologique. Et comme souvent chez nos amis de la réaction, elle penche plutôt du côté du manche.

mercredi 20 octobre 2010

Stop les graves

Hier, lever à 6h30 pour arriver et, incidemment, partir (plus) tôt du boulot (un bisou à mon boss, pourtant pas vraiment du même bord politique, qui m'autorise cette petite translation horaire pour aller jeter des cailloux aux CRS), pour une sixième manifestation d'affilée.

J'ai rejoint l'un des deux cortèges entre Vavin et Montparnasse, et l'ai trouvé particulièrement clairsemé, au point de me filer le bourdon. Impression erronée, semblerait-il, les télés et le volume sonore derrière mes correspondants téléphoniques rejoints pour l'occasion confirmant que, je cite, "la mobilisation ne faiblit pas". Comme quoi on a tendance à calquer nos propres sentiments sur nos perceptions (c'est une grande découverte, je te l'accorde) : un semblant de découragement m'induisait à croire que tout le monde se décourageait. Heureusement qu'il y en a de plus solides que moi.

En parlant de trucs solides, il y en a qui en tiennent une couche de l'épaisseur de la lithosphère : je viens de tomber sur un groupe facebook particulièrement digne, qui s'appelle "Contre-Manifestation en ligne le 21 octobre 2010".

Lancée par le collectif "Stop la grève" (j'aurais honte d'améliorer leur référencement si je n'avais pas moins d'un lecteur mensuel) et soutenue par l'UNI (syndicat étudiant affilié à l'UMP), cette initiative se targue, je cite, de "dire avec force et conviction : STOP LA GREVE." sans " faire peser le poids de notre engagement sur les usagers".

Sur le refrain désormais connu du "les grévistes ils pensent qu'à eux", ce joyeux collectif se propose de manifester courageusement son opposition à l'opposition à la réforme des retraites en rejoignant un groupe facebook, ce qui vous l'admettrez est quand même plus poli et civilisé que d'aller crier des trucs dans la rue.

Je me demande jusqu'à quel point ils croient à ce qu'il raconte quand ils expliquent que s'ils ne manifestent pas pour de vrai, ce n'est pas du tout parce qu'un clic est moins coûteux qu'un jour de grève ou trois heures dans le froid, mais parce qu'ils sont respectueux et responsables et qu'ils ne veulent pas troubler la quiétude de leur prochain.

Déguiser sa lâcheté, son autisme et son idéologie délétère derrière une soi-disant "responsabilité" est certes devenu un sport national chez nos chers ministres, mais qu'il soit repris par une telle chorale d'abrutis me rend aussi furieux qu'amer.

Qu'on puisse s'opposer aux revendications des grévistes, il va de soi que je le conçois, je passe ma vie entouré de gens résignés, qui s'en foutent et/ou en désaccord avec les grévistes, et qui considèrent au mieux comme vain, au pire comme soviétique de manifester pour s'opposer à cette réforme. Je ne suis évidemment pas d'accord avec eux, et si je me livre (sans grande efficacité je le crains) à nombre de discours exaltés ou culpabilisateurs pour les convaincre du bien fondé de ces protestations, je ne leur prête pas le dixième de la bêtise et du mépris que je constate dans la prose débilitante des membres de ce groupe.

Quelques petites citations pour vous mettre en appétit :

Erik B. : "La rue livrée à la racaille...! Va falloir faire le grand ménage, c'est déjà ca !"

Vincent S. : "Rien à foutre de la réforme, rien à que les gens sortent pour gueuler par contre pas rien à foutre que les putains d'feignant de gréviste me bloque pour aller bosser, m'empêche de faire le plein pour bosser, certain ce font même licencier à cause de c connerie ! Comparativement, un gars de la sncf pourrai lui toujours... avoir c 5 semaine (ou plus) de vacances, d'ailleurs ils partiras gratuitement en train avec sa famille en vacance le veinard, ou avec c nombreux RTT, puis avec son C.E d'enfer il auras des prix en or pour plein d'activité et pourras même partir en prés retraite vers 45 ans ???? Et putain il trouve encore le moyen de sortir gueuler ??????? Trou du cul de gréviste de merde !!!!!!!!! (valable aussi pour de nombreux fonctionnaire)."

Amaury C. : "C'est honteux une minorité qui met en péril l'économie Française, qui empêche les gens de se rendre sur leurs lieux de travail, mais manifester chez vous et n’emmerdez pas les autres bande de LOOSER!"

Que ressort-il de cette diarrhée rageuse qui leur fait office de langage :
- le gréviste est un casseur
- le gréviste est un fainéant
- le gréviste est un privilégié
- le gréviste devrait rester chez lui pour respecter les autres
(note : je ne prends pas la peine de distinguer manifestant et gréviste, j'ai peur de les embrouiller)

Ce qui permet de constater qu'au lieu d'une opposition intellectuelle (idéologique, morale ou autre) à la démarche de ceux qui manifestent, le moteur de cette clique est un savant mélange d'aigreur ("ces fainéants"), de peur ("ces casseurs") et d'envie ("ces privilégiés"), noyés dans une grumeleuse soupe de nombril.
"MOI je travaille, MOI j'ai des soucis, pourquoi ils M'emmerdent MOI, ces cons". Terrifiant mantra égocentré, négation de toute possibilité de collaboration, de solidarité, de lien quelconque entre celui qui le psalmodie et ceux qu'il insulte.

Je ne veux faire l'apologie ni des grévistes, dont les motifs ne sont évidemment forgés de l'altruisme le plus pur, ni de certains lycéens pour qui la participation aux manifestations est moins régie par le bien commun que par la perspective de s'offrir une révolte adolescente et une journée de vacances au prix d'un ticket de métro (quand ils ne fraudent pas, ces enculés) .Mais comment nier qu'il existe une profonde "vérité" dans une mobilisation qui regroupe autant de monde, autant de gens différents, pour un objectif qui dépasse de loin le simple intérêt individuel ?

Quel degré d'abêtissement politique peut conduire à imaginer que les grévistes devraient "faire la grève chez eux" ? Quelle négation de la société peut conduire à tout voir par le prisme du chacun pour sa gueule, au point de ne prêter aux autres que la seule volonté de "conserver ses privilèges" ?

On pourra toujours renvoyer droite et gauche dos-à-dos sur ce sujet, je demeure convaincu que le clientélisme délibéré et la division systématique du peuple en catégories antagonistes dont use sans modération cette droite "décomplexée" fait un mal indescriptible à la nation qu'elle prétend incarner et à la république qu'elle prétend défendre.

Un mal dont je ne suis pas certain qu'on pourra se soigner sans dommage, malgré la salutaire poussée de fièvre de ces dernières semaines.

lundi 18 octobre 2010

De la pédagogie des masses



Wikipédia : "La pédagogie est, étymologiquement, l'action de "conduire les enfants", du grec PAIDAGÔGIA"


Après maints billets vengeurs, énervés, et pour tout dire un peu grossiers, je pouvais donner l'impression d'un semblant d'exaspération, et je tiens à m'en excuser, nous vivons dans un monde suffisamment pénible pour n'y point verser quelques gouttes supplémentaires d'acrimonie. Si tous ces blogueurs, plutôt que de râler, s'efforçait de ré-enchanter le monde en parlant des jolies choses, comme le fait avec talent notre bon Jean-Pierre Pernaud, il ne fait aucun doute qu'internet ne serait pas ce repaire de nazis pédophiles voleurs qu'il est devenu.

C'est pour ça qu'aujourd'hui, j'ai décidé de mettre de côté mon agressivité déplacée pour vous faire part d'une bonne nouvelle, fait dont la rareté justifiait à elle seule cette pesante introduction : le gouvernement nous a compris.

Quand je dis "nous", je suis bien conscient de m'emballer un peu, il n'est pas impossible que d'après les derniers décomptes policiers j'eus été seul à arpenter le boulevard Voltaire de République à Nation ce samedi. Et quand bien même nous fumes plusieurs, rien ne prouve que mes voisins de chaussée étaient là pour manifester quoique ce soit, il y a suffisamment de boutiques sur ce trajet pour expliquer la présence de bienveillants consommateurs. Mais peu importe mon nombre, la nouvelle n'en reste pas moins bonne : le gouvernement nous a compris.

Voyez-vous, j'étais persuadé d'être méprisé, moqué peut-être, ignoré en tout cas par un pouvoir indifférent à mes revendications et sourd à mes inquiétudes. Comme je me trompais ! Quel procès d'intention je leur faisais, à nos amis de l'UMP dont la bienveillance et l'ouverture sont pourtant si unanimement louées ! Ce que je prenais pour du mépris de caste n'était en réalité que l'attention patiente d'un parent regardant son enfant baver son petit pot en faisant des bulles plutôt que de l'avaler proprement comme une grande personne. J'ai un peu honte aujourd'hui d'avoir été si ingrat, d'autant qu'au lieu de me blâmer, nos généreux gouvernants poussent la dévouement jusqu'à s'accabler eux-mêmes de mes propres errements.

"Ah, comme nous avons manqué de pédagogie", nous disent-ils tous, meurtris dans leur chair par cette erreur qui coute à tant d'enfants la radieuse perspective d'une vie rangée dans un coquet pavillon du 92. Je ressens ces flagellations avec une compassion mêlée d'orgueil : nous sommes, peuple de France, bien chanceux d'avoir pour guides de tels modèles de probité, plus prompts à se flageller qu'à punir.

Je voudrais donc à mon tour m'excuser d'avoir si bassement douté d'eux. Douté de l'honnêteté d'Eric Woerth, douté de l'efficacité et de la justice de cette réforme défendue avec pugnacité par François Fillon, douté des motis réels de ces changements impulsés vigoureusement par Nicolas Sarkozy. A vous tous, députés de la majorité, je dis pardon, pardon d'avoir imaginé que vous votiez n'importe quoi pour complaire à vos chefs, qui sont nos chefs et que nous aimons, maintenant je le sais. A vous tous, portes-parole et prosélytes de l'UMP qui n'avez pourtant pas ménagé vos efforts pour nous convaincre que la réforme des retraites était nécessaire et juste et responsable, puisqu'elle était nécessaire et juste et responsable.

Pardon, en somme, de m'être cru suffisamment informé pour appréhender ses enjeux, et ainsi fondé à vous demander des comptes de vos choix. Il n'y a pas de choix. Il n'y a pas de citoyens. Il y a des élèves et des maîtres, des moutons et des bergers. Attends-t-on du mouton qu'il donne son avis sur le chemin du pâturage ? Non, et bienheureux est-il de ne voir peser sur ses frêles épaules duveteuses ni le poids des responsabilités, ni celui du destin.

Soyons raisonnables, taisons-nous et laissons travailler les gens sérieux.

jeudi 14 octobre 2010

Philippe claudique


Le premier mot qui vient à l'esprit à l'heure de qualifier ce livre, ce serait probablement "déroutant". En plus il est pratique ce mot, ça peut être un reproche comme un compliment. Je m'explique.

L'univers, d'abord. Ce monde futuriste régi par le "hasard", où la désignation du chef (le "maître du jeu") est aléatoire, et où les individus sont répartis en "classes" sans qu'on comprenne trop ce qui les définit s'avère de prime abord enthousiasmant. Enthousiasmant, mais cruellement sous-exploité : le lecteur n'en apprendra guère plus, comme laissé à la porte par un hôte indélicat.

Les personnages ensuite. Globalement survolés, presque baclés (un exemple parmi d'autres : l'auteur passe plus de temps à rappeler qu'un des personnage se promène seins nus qu'à expliciter, ou même effleurer, ses motivations), ils peinent à passionner et même à exister à côté du héros, le seul autorisé à un peu de profondeur.

La nuée de concepts inexpliqués (Minimax, "bouteille",...) qui peinent à se frayer un passage jusqu'à notre entendement (bon je suis peut-être un peu con, et très mal renseigné en théorie des jeux) finit d'achever la bienveillance du lecteur, pourtant émoustillé par des premières pages mystérieuses et prometteuses à souhait.

Achevé, "Loterie Solaire" laisse une impression de gâchis, comme un plat bourré d'ingrédients délicieux mais cuisiné trop vite. Un peu comme si l'auteur n'avait pas su agencer toutes ses bonnes idées, ou que pressé par le temps et le format il n'avait pas pu ou souhaité en extraire toute la moelle.

Bref, il manque bien deux cent pages à ce bouquin, et c'est d'autant plus frustrant qu'on les aurait lues volontiers.

Peut-être est-ce un style qu'on apprivoise, mais ma première expérience K Dickienne s'avère plutôt mitigée.

The importance of being Ernest


C'est chiant, les grands livres. C'est chiant parce qu'on aimerait pouvoir les commenter sans trop tergiverser, sans que chaque observation spontanée sonne comme une infinie platitude. Et puis c'est quoi, les grands livres ?


Ce pourrait être un livre sur la guerre, un livre sur les guérilleros, les fascistes et les ponts qu'on fait sauter.

Ce pourrait être un livre sur l'Espagne, sur ses collines, ses corridas et sa guerre civile aussi brutale et cruelle qu'une mise à mort.

Ce pourrait être un livre sur l'amour (et les chevreaux), sur la vie qu'on découvre et qui ne dure qu'un instant.

Ce pourrait être un livre sur l'engagement, sur le devoir avant tout et sur la mort dont on n'a pas peur.

Ce pourrait être un titre, simplement, parce que c'est un titre merveilleux.

Mais c'est l'histoire de Robert Jordan, sa jeune sagesse, son courage indifférent, sa vie infime et sa putain de dynamite. C'est un livre que l'Histoire écrase, et qui en même temps nous dit tout des franquistes et des républicains, et de la guerre comme impasse dans laquelle on ne peut qu'avancer, seul avec les autres.

Dans les aiguilles de pin, c'est pour eux tous que sonne le glas.

Manhattan - Kaboom




Flamboyante pépite pop, Kaboom peut être lu comme un film sur l'entrée dans l'âge adulte, sur la quête du père, ou sur n'importe quelle préoccupation adolescente plus ou moins chère à Araki.


Attention, je teste :

mercredi 13 octobre 2010

Eric la rhétorique

C'est un constat qui date un peu, mais noyé dans l'ennui grisâtre de ces jours sans manifestation, il me semble opportun de le partager avec vous...toi... de le partager, puisque rien n'est plus noble à l'homme de bien que le partage de son savoir et de ses richesses(nan mais t'es fou ou bien t'es de gauche ?) : la rhétorique n'est plus à la mode en politique.

Sans m'égarer jusqu'aux glissants abords de la nostalgie, il me semble que les politiciens (de tout bord) d'autrefois savaient rivaliser d'éloquence pour défendre leurs convictions, leurs choix, parfois leurs prébendes, et plus généralement pour esquiver les questions qui les emmerdaient. Aujourd'hui, et sous réserve bien sûr que la mauvaise foi partisane ne m'aveugle et ne masque à mes yeux boursouflés de haine la grâce de leurs propos, j'ai bien du mal à ressentir ne serait-ce qu'un frisson d'intérêt pour la prose débilitante de nos élus et maîtres.

Afin d'appuyer mon propos d'un exemple solide et rigoureux, nous allons nous pencher sur notre très cher ministre des hippodromes, donneur de Légions de son état, crème de la crème de Chantilly, j'ai nommé Eric Woerth.

On le sait, Eric Woerth est depuis de longs mois l'objet d'une inique campagne de dénigrement, une "lapidation" selon ses propres mots, poursuivi par les "collabos" "comme aux jours les plus sombres de notre histoire". Autant vous dire que ce n'est pas facile tous les jours, et encore je vous raconte pas l'ambiance à la maison avec bobonne qui a du démissionner et qui s'occupe en parfumant des cadavres avec Chanel N5. "Ça me rappelle Liliane Bettencourt", qu'elle dit. Bref, Eric n'est pas très bien. Déjà que quand il sourit on l'appelle Droopy, là on a presque envie de lui tirer une balle dans l'oeil pour mettre un terme à ses souffrances. Mais je m'égare, l'occasion d'aborder la "médicalisation de la fin de vie" n'est pas venue.

Eric, donc, était interrogé il y a deux mois environ sur ce qui n'était encore que les prémices de l'affaire Woerth/Bettencour, et à un journaliste qui lui demandait s'il n'y avait pas conflit d'intérêt entre Woerth Eric, ministre du budget, et Woerth Florence, gestionnaire de fortune d'une Liliane Bettencourt soupçonnée d'avoir planqué une partie de son magot de l'autre côté des Alpes, Eric ne douta pas et répondit comme ça, cash, à l'importun : "Est-ce que j'ai une tête à couvrir une fraude fiscale ?"

Hein ? Et puis t'es moche ! Et puis je fais ce que je veux, et t'es même pas cap de m'empêcher, et c'est de la triche. Pouce.

Attention, Eric n'est pas le seul à recourir à l'argument-massue, certains de ses collègues lui emboitèrent le pas avec entrain :
- ainsi Besson Eric, ministre des diversions nauséabondes, soupçonné d'avoir utilisé les fonds de son ministère pour payer son voyage de noce, recadrant immédiatement l'imbécile accusateur :
"Est-ce que sur mon front il est vraiment marqué que je suis, un, malhonnête et deux, complètement idiot ? Je ne suis ni malhonnête, ni idiot"

- ainsi Lancar Benjamin, chef scout lipdubineux, interrogé par Arrêt sur Image sur sa conception chelou de la gauchosphère, de rétorquer ombrageusement :
"Est ce que j'ai l'air de vouloir empêcher les gens de parler ?"

Bref, ce n'est pas un cas isolé, mais Eric rimant avec "sympathique", revenons plutôt à notre canasson.

"Est-ce que j'ai une tête à couvrir de la fraude fiscale", c'est une très bonne question, Eric. Qui demanderait certainement de s'interroger sur ce qu'est une "tête à couvrir de la fraude fiscale", et de se plonger dans de longues analyses phrénologiques pour déterminer si ce sont plutôt les fronts fuyants ou les mâchoires carrés qui baisent le fisc avec le plus d'agilité. Mais est-ce une défense bien sérieuse ? Est-ce que ce ne serait pas un peu la honte, d'aller à la télévision bien habillé, le front soucieux mais le sourire paisible, et de sortir un argument d'école primaire ?

Je sais bien que notre aimable président, dont l'éloquence est un harmonieux mélange de Jean-Marie Bigard et d'un mongolien imitant Chuck Norris, creuse un peu plus à chaque intervention l'insondable gouffre de la vulgarité et de l'indigence oratoire, mais on ne nous avait pas prévenu que c'était contagieux. Si c'est le cas, on a enfin trouvé une occasion de réutiliser les masques que Roselyne a stocké pour la grippe A, dis donc !

Mais mon hypothèse est autre. Je me dis plutôt qu'à force d'ingurgiter de l'élément de langage pour chaque sujet, chaque déclaration, avant chaque passage médiatique et au moindre fait divers, tes confrères et toi vous étiolez comme une rose un lys trop arrosé, pourrissant doucement dans une nuée de moucherons. Le perroquet n'étant pas réputé pour le volume de son encéphale, il n'est pas impossible que votre cerveau si peu sollicité se mette à ramollir, à péricliter, vos synapses bientôt moins nombreuses que vos amis millionnaires, et qu'aucune pensée réellement structurée ne puisse plus émerger seule de votre soupe occipitale.

Ce n'est bien évidemment pas ma volonté de t'inquiéter, mon Eric, je sais que tu as d'autres soucis, mais il me semble même avoir détecté chez toi quelques signes de dégénérescence mentale, en premier lieu le radotage. Ce souci de proximité d'avec vos principaux électeurs est bien sûr louable, mais prends garde, ça commence à se voir.

Regarde tes dernières déclarations par exemple :
(certes captées au vol dans ce Sénat si plein de gâteux en tous genres)

1 : (mon état d'esprit est) "très déterminé, dans un état d’esprit de mener à bien cette reforme, en étant attentif à ce qui se dit mais en étant aussi très ferme et très déterminé sur la réforme"

Résumons : tu es très déterminé, mais en étant aussi très déterminé.

2 : "Ceux qui appellent à la mobilisation des jeunes sont totalement irresponsables. Quand je vois le Parti socialiste, les Verts ou le NPA appeler à la mobilisation des jeunes, c’est d’une irresponsabilité totale."

Résumons à nouveau : ceux qui sont totalement irresponsables sont d'une irresponsabilité totale.

Bel hommage à Captain Obvious, assurément, mais tu avoueras que ce n'est pas très rassurant.

Pire, il nous semble que tu perds toute capacité à dialoguer (c'est à dire à faire le lien entre ce que ton interlocuteur te dit et ce que toi tu dis) : quand tu dis que mettre les jeunes dans la rue est irresponsable (un élément de langage, suppose-t-on, puisque 50 de tes collègues le serinent depuis hier dans tous les micros qui passent), et que le journaliste te répond que les jeunes sont pourtant concernés, tu réponds :" raison de plus pour réformer les retraites", avant d'asséner l'habituelle série de questions oratoires ("Vous voudriez que les jeunes il faille les vendre pour combler le déficit c'est ça ? Vous voudriez que je sois un nazi avec une petite moustache ? Vous voudriez que j'ai une tête à couvrir la fraude fiscale ?") qui sert de ponctuation à chaque hiérarque UMP depuis l'avènement du sarkozysme.

Formalisons ça s'il te plait, sous la forme d'un joli syllogisme :
1 Mettre les jeunes dans la rue est irresponsable (sous-entendu : ils n'ont rien à voir là dedans)
2 Or les jeunes sont concernés
3 Donc il faut réformer les retraites (-> mettre les jeunes dans la rue, comme tu as pu le constater)

Vois-tu, mon ami, la modeste faille logique dans ce raisonnement plus boiteux qu'un ouvrier après les heures de sodomie que lui infligera ta réforme en carton ?

Au début, je pensais que oui. Que c'était sciemment que tu usais du sophisme comme on use du "c'est clair", pour mettre un terme immédiat à une discussion sans intérêt. Que tu mentais sciemment, et que tu comptais sur notre inattention et notre ingénuité pour gober tes contre-sens. Et que l'impunité offerte à ta caste par de serviles journalistes te grisait tant que tu osais chaque jour un peu moins tortueux, un peu plus brut dans le mensonge.

Maintenant, je doute. C'est si fréquent, si régulier, pour tout dire si systématique pour tes amis et toi, que j'en viens à envisager quelque déformation pathologique.

Alors à mon tour d'être responsable, raisonnable et pragmatique, et de vous enjoindre au calme et au repos : quittez donc cette vie usante et aliénante qu'est la politique, allez donc vous réfugier dans une belle villa gracieusement prêtée par un ami fortuné, enfilez des blouses et coiffez-vous d'entonnoirs colorés, faites une ronde et psalmodiez en choeur, loin du monde réel qui vous oppresse et diffère tant du votre, cet entêtant refrain :
"La réforme cébien, la réforme ilfolafèr, si je mens j'vais en enfer"

Et allez au diable.

vendredi 24 septembre 2010

For what it's Woerth (2)

Hier, Eric Woerth était l'invité du journal de 20h pour réagir live from ze block aux manifestations organisées par Riri, Fifi et Loulou contre la réforme des retraites qu'il mène d'une main de maître quand elle n'est pas occupée à signer des lettres de recommandation.

Outre les scories habituelles d'un entretien pujadesque, impertinence dévote et questions à côté du vrai sujet, on peut en retenir deux choses :

1- "la mobilisation décélère".

Ô génie des éléments de langage. La mobilisation ne s'essouffle pas, ne diminue pas, ne faiblit pas, elle "décélère". Merveilleuse trouvaille empruntée à la physique, qui permet de donner l'impression de dire que quelque chose ralentit alors que pas du tout. Inutile évidemment de chercher un quelconque souci de "pédagogie" ou de "pragmatisme" (pourtant chers à nos dirigeants) dans le choix de ce mot, il n'a qu'un but et un seul : dissimuler. Mentir. Le peuple (je m'autorise à penser que, vu l'incroyable balai civique dans le cul de la majorité de mes concitoyens, 3 millions de personne qui manifestent dans la rue au prix d'une journée de salaire peuvent légitimement être assimilés au peuple) dit quelque chose, mais plutôt que de l'entendre, on le compte, on lui raconte une connerie et on passe à autre chose. Gouvernements d'éleveurs de bétail, d'arracheurs de dents, dont les cols blancs et les sourires de VRP masquent mal (et pour combien de temps ?) la pourriture.

2- "la réforme est nécessaire". Oui Eric, on te croit. Personne ne dit que la réforme n'est pas nécessaire. En revanche on peut douter que TA réforme soit nécessaire. Nouveau génie de la communication politique, qui veut que la réforme soit nécessairement belle et juste et nécessaire, quelle qu'elle soit et sans s'appesantir sur son contenu. Au mépris des leçons de grammaire niveau CE1, on nous explique donc qu'être contre UNE réforme, c'est être contre LA réforme. Redisons-le alors, puisqu'il faut marteler les évidences au même rythme que le marteau-pilon lobotomisateur que manient sans délicatesse aucune nos amis de la télé :
- réformer les retraites est (peut-être) nécessaire. Cela dépend de l'évolution du chômage et des conditions de vie dans les trente prochaines années (une éternité), mais soit, admettons.
- réformer les retraites est un problème financier. Pas démographique. Financier. Cela fait deux mille ans que l'espérance de vie de l'homme augmente, pas deux ans. En revanche que la dette des Etats soit un objet de spéculation, c'est récent. Et que les agences de notation deviennent puissantes (et tatillonnes) au point de menacer les capacités de financement d'un état, au point de l'obliger à économiser n'importe quoi à court terme pour les "rassurer", c'est récent. Et c'est un scandale, mais ça, pas la peine de le réformer.
- réformer les retraites demande de trouver de l'argent. CETTE réforme fait le choix de le trouver dans les poches de ceux qui travaillent. C'est un choix. Respectable, discutable, mais c'est un choix. Pas une évidence, pas une loi physique incontournable, pas une décision "logique". C'est une décision politique. Et une décision politique qui met des millions de gens dans la rue, elle mérite pour le moins d'être débattue.

Mais non. La réforme est nécessaire. Fermez vos gueules les mongoliens. On vous trouvera bien un truc pour vous redonner le sourire d'ici aux prochaines élections.

Putain de sa mère, si vous me permettez l'expression.

mardi 20 juillet 2010

Pontifions sur la littérature

Hier, j'ai lu Amélie Nothomb. "Mercure", pour être plus précis. Ca ne m'a pas beaucoup plu, et je suis sympa de me contenter d'une litote. En revanche, ça m'a fait réfléchir à ce que j'attendais d'un roman, à ce que j'en retenais. Je crois avoir assez récemment évolué dans mon rapport à l'oeuvre littéraire, pour diverses raisons : là où je n'accrochais qu'aux histoires et - un peu - au style, mes attentes sont aujourd'hui différentes, plus complexes, tellement complexes d'ailleurs qu'une flemme sordide m'interdit de vous les lister.

En revanche, je suis en accord parfait avec les lignes qui suivent, et qui gagneraient à être lues, au hasard, par une certaine Amélie.

"La science explique le monde, elle répond aux questions. Elle veut savoir. La littérature veut s'étonner. Elle est à base d'éblouissement. Elle ne répond pas, elle questionne. Elle prend plaisir à ne pas comprendre, comme un enfant devant le prestidigitateur. Elle est en état de fascination. Le poète aime mieux être ébloui que renseigné. Ce qui la passionne, ce n'est pas le pourquoi, c'est le comment. Comment les choses se passent. Car on n'y comprend rien. On s'y trouve tellement habitué qu'elles paraissent toutes naturelles. Mais arrêtez-les une seconde. Ou regardez-les passer en restant immobile, et vous n'y comprendrez plus rien. Un instant d'attention et tout devient un mystère.(…) C'est la tâche de la littérature de rendre ce mystère des choses. Elle a pour rôle de faire le portrait de l'indicible."
Alexandre Vialatte, "Et c'est ainsi qu'Allah est grand".

jeudi 15 juillet 2010

vendredi 9 juillet 2010

Is it Woerth it ?

L'affaire Woerth, donc. S'il n'y avait Paul le poulpe et la chaleur écrasante qui fait défaillir les voyageurs du RER, on ne parlerait que de ça, et quelle meilleure occasion de rompre un long silence que de faire comme tout le monde.

Des évènements, des présomptions et des démarches judiciaires en cours, je ne pense pas encore grand chose. Luttant contre mon naturel de bouffeur d'UMPistes, je laisse l'écheveau se dénouer avant de les lâcher (ris, s'il te plait), et c'est une prudence qui m'honore, je te remercie de me le faire remarquer. Il est évident que si les faits s'avèrent, il s'agira du plus gros scandale politique de la décennie, d'autant plus gros qu'il ne surprendrait finalement personne. Que ceux qui doutent des collusions entre les grosses fortunes françaises et cette droite décomplexée ouvrent Le Figaro (de Serge Dassault, milliardaire et sénateur UMP) ou allument TF1 (propriété de Martin Bouygues, copain de). Mais quand bien même cette histoire ferait pschiiiiit, elle reste édifiante à plus d'un titre.

D'abord, mais c'est devenu un tel classique qu'il faut des yeux d'enfants pour s'en émerveiller encore, c'est l'occasion d'un défilé de pitres comme on n'en voit guère en dehors des talk-shows de foot et du carnaval de Rio. Frédéric "Zola" Lefebvre, Nadine Morano, Christian Estrosi, les lames les plus émoussées du sarkozysme volettent en escadrille de médias en médias pour nous asséner leurs vérités pré-mâchées au Château (c'est assez dur à dire, "pré-mâchées au Château", essayez pour voir). Ca dit n'importe quoi en fronçant les sourcils, ça insulte et ça serre les dents pour "défendre la démocratie" et écarter le spectre des "heures les plus sombres de notre histoire", c'est mignon comme tout. Moins que leurs péroraisons, d'une affligeante banalité si l'on a suivi les polémiques marquantes de ces derniers mois (Hortefeux et ses auvergnats, par exemple), le plus étonnant reste qu'on les reçoive encore comme "politiques", et non comme bouffons. D'autant que l'air est à l'orage pour les humoristes...

Mais au delà du casting, prestigieux comme une nuit des Restos du Coeur, c'est la méthode qui retient l'attention : dans la presse, à la radio, à la télévision, et même à l'assemblée, c'est en chœur que nos ardents défenseurs d'Eric Woerth entonnent les "éléments de langage" conçus par le capo (merci de comprendre "capo" comme les leaders des ultras dans les tribunes des stades, et non comme un hommage à Benito). Oncques ne vit une telle harmonie, une si belle chorale, un plus bel orchestre : c'est comme si les mots de l'un sortait de la bouche de l'autre, et inversement. Morano dénonce les médias "trotskistes d'extrême droite" (bien joué Nadine), Lefevbre, lui, pourfend "les médias aux relents d'extrême droite et de trotskisme mêlés". Xavier Bertrand brandit la présomption d'innocence, Estrosi et Fillon brandissent la présomption d'innocence. "C'est la réforme des retraites qui est visée", "il n'y a aucune preuve", "la comptable est une mythomane", "Eric Woerth est un honnête homme, la preuve il est chauve", chaque argument (et dieu sait que je les honore en daignant élever au rang d'arguments leurs hennissements) donne lieu à un canon repris par tout ce que l'UMP compte de cadors.

Ça pourrait me faire rire, mais je ressens comme un malaise devant cette bande de chiens d'attaque en vestes et tailleurs, jappant comme un seul berger allemand (NON JE NE GODWIN PAS, Hitler était peintre, de toute façon) les consignes de l'Élysée, saturant les ondes, bouffant le temps de parole, rognant l'espace déjà maigre du débat médiatique pour n'y laisser que les cendres de leurs polémiques et de leurs contre-feux. Un malaise parce que je me demande quelle résistance on peut développer contre ce rouleau compresseur idéologique, contre les coups de boutoir de ces Attilas du cerveau qui finissent par étouffer toute pensée en martelant frénétiquement leurs grosses caisses. Et pour un qui y résiste, combien finissent par succomber à ce refrain à force de répétition, comme on finit par siffloter une chanson qu'on n'aime pas ?

Un malaise également parce que ces individus, qui représentent électoralement (pour la plupart) une majorité (hé oui) de la population française, ne font finalement preuve d'aucun libre-arbitre, se contentant de faire résonner la pensée d'un autre, automates du déni et de la provocation serinant le même disque jusqu'à ce qu'on leur change. Comment ces ministres, ces députés, ces maires, ces politiques poussés (au moins à leur début) par une volonté d'influer sur les choses peuvent-ils se résoudre à abandonner leurs voix, c'est à dire la seule chose par laquelle ils existent, à quelqu'un d'autre ? Comment, et pourquoi, peut-on choisir de renoncer à toute idée propre, à toute parole originale, pour se dissoudre dans une meute de roquets qui ne leurrent plus personne ?

J'ai beaucoup de mal à me l'expliquer, mais je crains que la réponse ne me fasse, cette fois, godwiner pour de bon.

jeudi 18 février 2010

[Polis] Sur les retraites

Je voudrais parler des retraites, et de l'admirable opération d'enfumage politique et médiatique en cours.

Mais avant tout tu vas lire ça.

Et après tu le relis, pour que ça rentre.

[Humeur] Bazar de l'Hotel des Livres

Ces dernières semaines tu n'as pu, lecteur, échapper à la tornade Bernard-Henry Levy, dont la sortie du nouveau livre (un "manuel pour âges obscurs, où l'auteur "abat son jeu" et dispose, chemin faisant, les pierres d'angle d'une métaphysique à venir", paraitrait-il), s'accompagne d'une omniprésence médiatique toute compréhensible : il faut bien faire un peu de promo aux auteurs méconnus. Les médias amis (je ne t'en fais pas toute la liste sinon tu vas décrocher) ont donc joué le jeu avec leur coutumière courtoisie, offrant au Philosophe une tribune à la mesure de ses pensées nouvelles. Cette belle mécanique promotionnelle cliquetait de bonheur discret lorsque, soudain, le grain de sable : une journaliste du Nouvel Observateur mettait le doigt sur une petite fantaisie de l'Auteur. Celui-ci, démontant sauvagement son homologue (intellectuel, parce que niveau coiffure la superiorité de BHL est indiscutable) Emmanuel Kant, s'appuie en effet sur les travaux d'un philosophe méconnu, Jean-Baptiste Botul, qui aurait assené "au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans sa série de conférences aux néokantiens du Paraguay, que leur héros était un faux abstrait, un pur esprit de pure apparence ". Seulement voilà : Botul n'existe pas, c'est une invention d'un journaliste du Canard Enchainé, Frederic Pages, et le livre où figure cette histoire de conférence paraguayenne "la vie sexuelle d'Emmanuel Kant" est aussi crédible que le guide touristique de la Molvanie.

La campagne promotionnelle prend alors un tour moins funky pour BHL, puisque tout le monde se fout de sa gueule. Il faut comprendre : s'attaquer à Kant, dont il est à l'échelle philosophique ce que serait un pou sur une baleine, demandait une certaine rigueur, rigueur toute compromise par l'usage, très sérieux, d'un philosophe fantaisiste dont les propos sont à peu près aussi raisonnables que les théories de Jean-Marie Bigard sur le 11 septembre (respect, Jean-Marie).

Comprenons-nous bien, ce n'est pas un épisode dramatique : ça arrive à tout le monde d'aller chercher des citations sur Google pour impressionner son lectorat, même si en général on s'arrange pour vérifier que le contexte de la citation colle avec ce qu'on veut dire. Le faire dans le cadre d'un "manuel pour âges obscurs, où l'auteur "abat son jeu" et dispose, chemin faisant, les pierres d'angle d'une métaphysique à venir", c'est un cran plus loin dans le ridicule, mais ça reste un micro-évènement. Cette histoire ne justifiait donc a priori aucun déferlement de lolisme tel que constaté.

Seulement voilà, BHL dispose, pour des raisons qui relèvent plus de l'amitié et de l'obligeance que du talent véritable, d'un espace incommensurable dans les médias, et si cette gigantesque caisse de résonance lui sert d'habitude à vendre au kilo ses bouquins creux et sa pensée sans grâce, elle se retourne pour une fois contre lui, ce qui n'est pas pour déplaire à tous ceux qui le subissent depuis de longues, longues années.

On aurait pu en rester au stade, gouteux, de l'arroseur arrosé, et les premières réactions de l'auteur ("je me suis bien fait avoir", "bravo au créateur de Botul" allaient - et c'est tout à son honneur - en ce sens. Seulement voilà : le néophilosophe a des amis. Certains l'auront défendu par un soutien qu'on peut juger naïf et pompeux, mais relativement sobre. D'autres en revanche, sortent l'artillerie lourde du complot et des "heures noires de notre histoire".

C'est le cas de Philippe Boggio, qui m'était absolument inconnu jusqu'à ce matin, et qui s'avère être l'auteur d'une biographie dont la présentation laisse à penser qu'elle n'est pas à charge ("Philippe Boggio a voulu comprendre. De l'intérieur. Depuis l'enfance, qui n'est pas simple. Il a découvert un être étrange, plein de doutes et d'ambivalences, excessif en tout, et que rien ne guérit de ses folles angoisses. Un homme bizarrement fidèle et généreux. Un chercheur d'absolu dont le cynisme n'est peutêtre qu'un masque, le narcissisme un pis-aller, l'esthétisme un acte de désespoir."). Ce dernier a commis hier une tribune sur Slate.fr qui justifie aujourd'hui cet article sur un sujet que j'aurais, autrement, laissé mourir dans les indifférentes poubelles de l'Histoire.

Que dit monsieur Boggio ?

Il dit d'abord que ce n'est pas normal que les attaques sur BHL portent sur la forme (sa luxueuse demeure marocaine, sa chemise ouverte, son omniprésence médiatique) et pas le fond. Concluant par cette péremptoire assertion : "La littérature est une guerre, il l'a assez dit. Personne ne lit personne. Tout est donc affaire de commerce littéraire". Je doute de partager la même vision de la littérature ou de la philosophie que ce triste sire.

Il s'indigne ensuite qu'on reproche encore à BHL ses erreurs passées (qu'il cite : "la polémique sur Daniel Pearl. (...) l'entrée de BHL dans Sarajevo assiégée, et le nombre d'heures qu'il a «réellement» passées sur place. (...) la «véritable date à laquelle il a rencontré le commandant Massoud», au tout début des années 1980"), lui plus qu'aucun autre. Nouvelle assertion péremptoire, ponctuée cette fois d'un premier dérapage : "(...) comme la vie, la littérature doit connaître l'oubli, voire le pardon. Sinon, l'atmosphère est étouffante. Et directement fascisante.". Il me semblait bêtement que l'écriture avait cet avantage d'offrir, contrairement à la parole, une certaine durée à son objet. Erreur : lire des livres, et en retenir les failles, c'est fasciste. Tu aimes mon livre, ou alors tu fermes ta gueule, facho.

C'est ici, et tardivement, que s'infléchit le discours de cet "ami". Il s'appesantit sur la richesse de BHL, qui serait (évidemment) l'unique raison de son discrédit récent (affaire Botul) ou plus ancien (Bourdieu, Deleuze...). J'ai toujours eu beaucoup d'admiration pour les gens capables de pointer la déconsidération dont souffrirait BHL alors même qu'il entretient de longues et fructueuses amitiés avec tout ce que le pays compte d'éditorialistes en cour et de puissants, politiques, économiques, ou médiatiques.

Mais c'est dans le dernier paragraphe, que je retranscris ici, que s'abandonne Boggio à cet exercice misérable, méprisable, répugnant, qui consiste à discréditer tout adversaire en lui apposant le sceau de l'infamie.

"Ces deux livres-ci, le petit et le gros, et la manière véhémente qui les salue sont, il faut le savoir, la dernière étape avant l'ignominie. Compte tenu de l'état de la société, de ses besoins de lynchage, de sa passion pour les oukases médiatiques, la prochaine fois, au prochain livre, internautes, lecteurs ou critiques, quelques-uns ne se retiendront plus. Bernard-Henri Lévy, ce juif..."

Jusqu'alors personne, PERSONNE, n'avait mentionné ne serait-ce qu'au détour d'une phrase perdue dans un torrent de réactions, et à raison puisque ce détail n'a absolument rien à voir avec l'affaire qui nous occupe, la qualité de "juif" de BHL. Mais il faut qu'un de ses fâcheux "amis" le dégaine. Si BHL est critiqué, c'est parce qu'il est juif. S'il est victime d'un "lynchage" (c'est ça), d'une "oukase médiatique" (évidemment), ce n'est pas parce qu'il écrit n'importe quoi dans ses livres et qu'il le présente comme une oeuvre majeure de la philosophie mondiale. Non, c'est parce qu'il est juif, bande d'antisémites.

Philippe Boggio, c'est toi l'antisémite. C'est toi qui use du"juif", juste après le "riche", pour donner à ta démonstration le lustre qu'elle n'a pas. Ce sont des gens comme toi qui perpétuent, sous couvert de le dénoncer, les amalgames nauséabonds qu'on voudrait voir disparaitre.

Philippe Boggio, ta gueule.