jeudi 21 octobre 2010

Y en a qui osent tout

Puisqu'il n'existe pas de limite au foutage de gueule, permettez-moi une devinette :

Qui a dit, au terme d'une diatribe anti-gréviste à base de prise d'otage et de ça se passera pas comme ça : "Et c’est encore une fois les petits qui vont trinquer pour les autres ! ?

Un indice : il mesure 1m20 selon les syndicats, et 1m80 selon la police.

Clique ici pour la réponse.
(et ici pour la source)

L'Etat à la niche

En ces temps où l'on voit poindre à l'horizon de la prochaine "séquence" gouvernementale la remise en cause de l'ISF en compensation de la suppression du bouclier fiscal, nouveau cadeau fait aux titulaires de gros patrimoines ("j'enlève une déduction d'impôt qui te rapporte 1 Milliard, et en échange je te lève un impôt qui t'en coute 5"), je conseille la lecture de cet article consacré à la niche fiscale liée à la cession de filiales par les entreprises, niche créée en 2004 mais creusée à la foreuse par Jean-François Copé en 2007.

Le principe est simple : une entreprise qui réalise une plue-value lors de la cession d'une filiale qu'elle a conservé plus de deux ans économise 28% de cette somme en impôts. Un abattement gigantesque consenti au nom de la "compétitivité fiscale" de la France au regard de ses voisins.

Les chiffres sont éloquents :
- coût pour l'Etat depuis 2007 : 12Milliards de moins-value (estimation basse, mais loin du chiffrage initial de 1Milliard réalisé par Bercy)
- gain pour l'Etat : quasi-nul (pas d'augmentation spécifique du taux d'installation de holdings en France)

Je ne doute pas que si j'étais lu par quelques spécialistes de la finance, de la fiscalité, ou des deux, je croulerais sur les commentaires m'expliquant que je ne comprends rien, que ça s'évalue sur le long terme, que si la niche n'était pas là ce serait pire, etc...Peut-être.
(c'est un "peut-être" de politesse, évidemment, en réalité vous dites n'importe quoi, virtuels contempteurs)

Pour ma part j'estime que cette niche est très représentative de la vision de la droite en terme de fiscalité, et plus généralement en terme de relation de l'Etat aux entreprises : celui-ci est vu comme un fournisseur des entreprises, à qui il propose une offre de service nécessairement concurrentielle, et son principal argument pour attirer (ou retenir) ses "clients" est un taux d'imposition faible.

Vous m'arrêtez si je me trompe, mais l'amour de la patrie et la fierté d'être français, ça ne fait pas partie des maximes de l'UMP ? Comment expliquer alors ces deux violentes entorses à l'orgueil national :
1- la France ne dispose d'aucun élément attractif la différenciant de ses voisins (et se retrouve donc par conséquent en concurrence "fiscale" avec la Roumanie)
2- la France a vocation à "servir" les entreprises dans l'espoir qu'elles s'acquittent généreusement d'un salaire (modéré, s'il vous plait) qu'on appellera l'impôt sur les sociétés et qu'on veillera à baisser régulièrement parce que les voisins rasent gratis.

Je ne voudrais pas tomber dans le plus niais des patriotismes, mais quand même, on a le droit de penser que la France a autre chose à offrir qu'un prix-plancher. Que ses niveaux d'aménagement du territoire, d'éducation, de sécurité et de services, qui sont certainement parmi les meilleurs du monde, ont une valeur que beaucoup d'entreprises ne mesurent peut-être pas à leur juste titre.

Mieux, on peut également penser que ce rapport de soumission ("salariale") de l'Etat aux entreprises, loin d'être inévitable, n'est lié qu'à l'abandon progressif, sous l'égide d'une droite finalement bien peu patriote, de tout rapport de force et de tout levier lui permettant de le maintenir ou de l'accentuer.

C'est à creuser, mais cela ne manque cependant pas de souligner un postulat trop bien déguisé sous couvert de "responsabilité" et de "pragmatisme" : la conception actuelle du rapport public/privé n'a rien d'intangible. Elle est idéologique. Et comme souvent chez nos amis de la réaction, elle penche plutôt du côté du manche.

mercredi 20 octobre 2010

Stop les graves

Hier, lever à 6h30 pour arriver et, incidemment, partir (plus) tôt du boulot (un bisou à mon boss, pourtant pas vraiment du même bord politique, qui m'autorise cette petite translation horaire pour aller jeter des cailloux aux CRS), pour une sixième manifestation d'affilée.

J'ai rejoint l'un des deux cortèges entre Vavin et Montparnasse, et l'ai trouvé particulièrement clairsemé, au point de me filer le bourdon. Impression erronée, semblerait-il, les télés et le volume sonore derrière mes correspondants téléphoniques rejoints pour l'occasion confirmant que, je cite, "la mobilisation ne faiblit pas". Comme quoi on a tendance à calquer nos propres sentiments sur nos perceptions (c'est une grande découverte, je te l'accorde) : un semblant de découragement m'induisait à croire que tout le monde se décourageait. Heureusement qu'il y en a de plus solides que moi.

En parlant de trucs solides, il y en a qui en tiennent une couche de l'épaisseur de la lithosphère : je viens de tomber sur un groupe facebook particulièrement digne, qui s'appelle "Contre-Manifestation en ligne le 21 octobre 2010".

Lancée par le collectif "Stop la grève" (j'aurais honte d'améliorer leur référencement si je n'avais pas moins d'un lecteur mensuel) et soutenue par l'UNI (syndicat étudiant affilié à l'UMP), cette initiative se targue, je cite, de "dire avec force et conviction : STOP LA GREVE." sans " faire peser le poids de notre engagement sur les usagers".

Sur le refrain désormais connu du "les grévistes ils pensent qu'à eux", ce joyeux collectif se propose de manifester courageusement son opposition à l'opposition à la réforme des retraites en rejoignant un groupe facebook, ce qui vous l'admettrez est quand même plus poli et civilisé que d'aller crier des trucs dans la rue.

Je me demande jusqu'à quel point ils croient à ce qu'il raconte quand ils expliquent que s'ils ne manifestent pas pour de vrai, ce n'est pas du tout parce qu'un clic est moins coûteux qu'un jour de grève ou trois heures dans le froid, mais parce qu'ils sont respectueux et responsables et qu'ils ne veulent pas troubler la quiétude de leur prochain.

Déguiser sa lâcheté, son autisme et son idéologie délétère derrière une soi-disant "responsabilité" est certes devenu un sport national chez nos chers ministres, mais qu'il soit repris par une telle chorale d'abrutis me rend aussi furieux qu'amer.

Qu'on puisse s'opposer aux revendications des grévistes, il va de soi que je le conçois, je passe ma vie entouré de gens résignés, qui s'en foutent et/ou en désaccord avec les grévistes, et qui considèrent au mieux comme vain, au pire comme soviétique de manifester pour s'opposer à cette réforme. Je ne suis évidemment pas d'accord avec eux, et si je me livre (sans grande efficacité je le crains) à nombre de discours exaltés ou culpabilisateurs pour les convaincre du bien fondé de ces protestations, je ne leur prête pas le dixième de la bêtise et du mépris que je constate dans la prose débilitante des membres de ce groupe.

Quelques petites citations pour vous mettre en appétit :

Erik B. : "La rue livrée à la racaille...! Va falloir faire le grand ménage, c'est déjà ca !"

Vincent S. : "Rien à foutre de la réforme, rien à que les gens sortent pour gueuler par contre pas rien à foutre que les putains d'feignant de gréviste me bloque pour aller bosser, m'empêche de faire le plein pour bosser, certain ce font même licencier à cause de c connerie ! Comparativement, un gars de la sncf pourrai lui toujours... avoir c 5 semaine (ou plus) de vacances, d'ailleurs ils partiras gratuitement en train avec sa famille en vacance le veinard, ou avec c nombreux RTT, puis avec son C.E d'enfer il auras des prix en or pour plein d'activité et pourras même partir en prés retraite vers 45 ans ???? Et putain il trouve encore le moyen de sortir gueuler ??????? Trou du cul de gréviste de merde !!!!!!!!! (valable aussi pour de nombreux fonctionnaire)."

Amaury C. : "C'est honteux une minorité qui met en péril l'économie Française, qui empêche les gens de se rendre sur leurs lieux de travail, mais manifester chez vous et n’emmerdez pas les autres bande de LOOSER!"

Que ressort-il de cette diarrhée rageuse qui leur fait office de langage :
- le gréviste est un casseur
- le gréviste est un fainéant
- le gréviste est un privilégié
- le gréviste devrait rester chez lui pour respecter les autres
(note : je ne prends pas la peine de distinguer manifestant et gréviste, j'ai peur de les embrouiller)

Ce qui permet de constater qu'au lieu d'une opposition intellectuelle (idéologique, morale ou autre) à la démarche de ceux qui manifestent, le moteur de cette clique est un savant mélange d'aigreur ("ces fainéants"), de peur ("ces casseurs") et d'envie ("ces privilégiés"), noyés dans une grumeleuse soupe de nombril.
"MOI je travaille, MOI j'ai des soucis, pourquoi ils M'emmerdent MOI, ces cons". Terrifiant mantra égocentré, négation de toute possibilité de collaboration, de solidarité, de lien quelconque entre celui qui le psalmodie et ceux qu'il insulte.

Je ne veux faire l'apologie ni des grévistes, dont les motifs ne sont évidemment forgés de l'altruisme le plus pur, ni de certains lycéens pour qui la participation aux manifestations est moins régie par le bien commun que par la perspective de s'offrir une révolte adolescente et une journée de vacances au prix d'un ticket de métro (quand ils ne fraudent pas, ces enculés) .Mais comment nier qu'il existe une profonde "vérité" dans une mobilisation qui regroupe autant de monde, autant de gens différents, pour un objectif qui dépasse de loin le simple intérêt individuel ?

Quel degré d'abêtissement politique peut conduire à imaginer que les grévistes devraient "faire la grève chez eux" ? Quelle négation de la société peut conduire à tout voir par le prisme du chacun pour sa gueule, au point de ne prêter aux autres que la seule volonté de "conserver ses privilèges" ?

On pourra toujours renvoyer droite et gauche dos-à-dos sur ce sujet, je demeure convaincu que le clientélisme délibéré et la division systématique du peuple en catégories antagonistes dont use sans modération cette droite "décomplexée" fait un mal indescriptible à la nation qu'elle prétend incarner et à la république qu'elle prétend défendre.

Un mal dont je ne suis pas certain qu'on pourra se soigner sans dommage, malgré la salutaire poussée de fièvre de ces dernières semaines.

lundi 18 octobre 2010

De la pédagogie des masses



Wikipédia : "La pédagogie est, étymologiquement, l'action de "conduire les enfants", du grec PAIDAGÔGIA"


Après maints billets vengeurs, énervés, et pour tout dire un peu grossiers, je pouvais donner l'impression d'un semblant d'exaspération, et je tiens à m'en excuser, nous vivons dans un monde suffisamment pénible pour n'y point verser quelques gouttes supplémentaires d'acrimonie. Si tous ces blogueurs, plutôt que de râler, s'efforçait de ré-enchanter le monde en parlant des jolies choses, comme le fait avec talent notre bon Jean-Pierre Pernaud, il ne fait aucun doute qu'internet ne serait pas ce repaire de nazis pédophiles voleurs qu'il est devenu.

C'est pour ça qu'aujourd'hui, j'ai décidé de mettre de côté mon agressivité déplacée pour vous faire part d'une bonne nouvelle, fait dont la rareté justifiait à elle seule cette pesante introduction : le gouvernement nous a compris.

Quand je dis "nous", je suis bien conscient de m'emballer un peu, il n'est pas impossible que d'après les derniers décomptes policiers j'eus été seul à arpenter le boulevard Voltaire de République à Nation ce samedi. Et quand bien même nous fumes plusieurs, rien ne prouve que mes voisins de chaussée étaient là pour manifester quoique ce soit, il y a suffisamment de boutiques sur ce trajet pour expliquer la présence de bienveillants consommateurs. Mais peu importe mon nombre, la nouvelle n'en reste pas moins bonne : le gouvernement nous a compris.

Voyez-vous, j'étais persuadé d'être méprisé, moqué peut-être, ignoré en tout cas par un pouvoir indifférent à mes revendications et sourd à mes inquiétudes. Comme je me trompais ! Quel procès d'intention je leur faisais, à nos amis de l'UMP dont la bienveillance et l'ouverture sont pourtant si unanimement louées ! Ce que je prenais pour du mépris de caste n'était en réalité que l'attention patiente d'un parent regardant son enfant baver son petit pot en faisant des bulles plutôt que de l'avaler proprement comme une grande personne. J'ai un peu honte aujourd'hui d'avoir été si ingrat, d'autant qu'au lieu de me blâmer, nos généreux gouvernants poussent la dévouement jusqu'à s'accabler eux-mêmes de mes propres errements.

"Ah, comme nous avons manqué de pédagogie", nous disent-ils tous, meurtris dans leur chair par cette erreur qui coute à tant d'enfants la radieuse perspective d'une vie rangée dans un coquet pavillon du 92. Je ressens ces flagellations avec une compassion mêlée d'orgueil : nous sommes, peuple de France, bien chanceux d'avoir pour guides de tels modèles de probité, plus prompts à se flageller qu'à punir.

Je voudrais donc à mon tour m'excuser d'avoir si bassement douté d'eux. Douté de l'honnêteté d'Eric Woerth, douté de l'efficacité et de la justice de cette réforme défendue avec pugnacité par François Fillon, douté des motis réels de ces changements impulsés vigoureusement par Nicolas Sarkozy. A vous tous, députés de la majorité, je dis pardon, pardon d'avoir imaginé que vous votiez n'importe quoi pour complaire à vos chefs, qui sont nos chefs et que nous aimons, maintenant je le sais. A vous tous, portes-parole et prosélytes de l'UMP qui n'avez pourtant pas ménagé vos efforts pour nous convaincre que la réforme des retraites était nécessaire et juste et responsable, puisqu'elle était nécessaire et juste et responsable.

Pardon, en somme, de m'être cru suffisamment informé pour appréhender ses enjeux, et ainsi fondé à vous demander des comptes de vos choix. Il n'y a pas de choix. Il n'y a pas de citoyens. Il y a des élèves et des maîtres, des moutons et des bergers. Attends-t-on du mouton qu'il donne son avis sur le chemin du pâturage ? Non, et bienheureux est-il de ne voir peser sur ses frêles épaules duveteuses ni le poids des responsabilités, ni celui du destin.

Soyons raisonnables, taisons-nous et laissons travailler les gens sérieux.

jeudi 14 octobre 2010

Philippe claudique


Le premier mot qui vient à l'esprit à l'heure de qualifier ce livre, ce serait probablement "déroutant". En plus il est pratique ce mot, ça peut être un reproche comme un compliment. Je m'explique.

L'univers, d'abord. Ce monde futuriste régi par le "hasard", où la désignation du chef (le "maître du jeu") est aléatoire, et où les individus sont répartis en "classes" sans qu'on comprenne trop ce qui les définit s'avère de prime abord enthousiasmant. Enthousiasmant, mais cruellement sous-exploité : le lecteur n'en apprendra guère plus, comme laissé à la porte par un hôte indélicat.

Les personnages ensuite. Globalement survolés, presque baclés (un exemple parmi d'autres : l'auteur passe plus de temps à rappeler qu'un des personnage se promène seins nus qu'à expliciter, ou même effleurer, ses motivations), ils peinent à passionner et même à exister à côté du héros, le seul autorisé à un peu de profondeur.

La nuée de concepts inexpliqués (Minimax, "bouteille",...) qui peinent à se frayer un passage jusqu'à notre entendement (bon je suis peut-être un peu con, et très mal renseigné en théorie des jeux) finit d'achever la bienveillance du lecteur, pourtant émoustillé par des premières pages mystérieuses et prometteuses à souhait.

Achevé, "Loterie Solaire" laisse une impression de gâchis, comme un plat bourré d'ingrédients délicieux mais cuisiné trop vite. Un peu comme si l'auteur n'avait pas su agencer toutes ses bonnes idées, ou que pressé par le temps et le format il n'avait pas pu ou souhaité en extraire toute la moelle.

Bref, il manque bien deux cent pages à ce bouquin, et c'est d'autant plus frustrant qu'on les aurait lues volontiers.

Peut-être est-ce un style qu'on apprivoise, mais ma première expérience K Dickienne s'avère plutôt mitigée.

The importance of being Ernest


C'est chiant, les grands livres. C'est chiant parce qu'on aimerait pouvoir les commenter sans trop tergiverser, sans que chaque observation spontanée sonne comme une infinie platitude. Et puis c'est quoi, les grands livres ?


Ce pourrait être un livre sur la guerre, un livre sur les guérilleros, les fascistes et les ponts qu'on fait sauter.

Ce pourrait être un livre sur l'Espagne, sur ses collines, ses corridas et sa guerre civile aussi brutale et cruelle qu'une mise à mort.

Ce pourrait être un livre sur l'amour (et les chevreaux), sur la vie qu'on découvre et qui ne dure qu'un instant.

Ce pourrait être un livre sur l'engagement, sur le devoir avant tout et sur la mort dont on n'a pas peur.

Ce pourrait être un titre, simplement, parce que c'est un titre merveilleux.

Mais c'est l'histoire de Robert Jordan, sa jeune sagesse, son courage indifférent, sa vie infime et sa putain de dynamite. C'est un livre que l'Histoire écrase, et qui en même temps nous dit tout des franquistes et des républicains, et de la guerre comme impasse dans laquelle on ne peut qu'avancer, seul avec les autres.

Dans les aiguilles de pin, c'est pour eux tous que sonne le glas.

Manhattan - Kaboom




Flamboyante pépite pop, Kaboom peut être lu comme un film sur l'entrée dans l'âge adulte, sur la quête du père, ou sur n'importe quelle préoccupation adolescente plus ou moins chère à Araki.


Attention, je teste :

mercredi 13 octobre 2010

Eric la rhétorique

C'est un constat qui date un peu, mais noyé dans l'ennui grisâtre de ces jours sans manifestation, il me semble opportun de le partager avec vous...toi... de le partager, puisque rien n'est plus noble à l'homme de bien que le partage de son savoir et de ses richesses(nan mais t'es fou ou bien t'es de gauche ?) : la rhétorique n'est plus à la mode en politique.

Sans m'égarer jusqu'aux glissants abords de la nostalgie, il me semble que les politiciens (de tout bord) d'autrefois savaient rivaliser d'éloquence pour défendre leurs convictions, leurs choix, parfois leurs prébendes, et plus généralement pour esquiver les questions qui les emmerdaient. Aujourd'hui, et sous réserve bien sûr que la mauvaise foi partisane ne m'aveugle et ne masque à mes yeux boursouflés de haine la grâce de leurs propos, j'ai bien du mal à ressentir ne serait-ce qu'un frisson d'intérêt pour la prose débilitante de nos élus et maîtres.

Afin d'appuyer mon propos d'un exemple solide et rigoureux, nous allons nous pencher sur notre très cher ministre des hippodromes, donneur de Légions de son état, crème de la crème de Chantilly, j'ai nommé Eric Woerth.

On le sait, Eric Woerth est depuis de longs mois l'objet d'une inique campagne de dénigrement, une "lapidation" selon ses propres mots, poursuivi par les "collabos" "comme aux jours les plus sombres de notre histoire". Autant vous dire que ce n'est pas facile tous les jours, et encore je vous raconte pas l'ambiance à la maison avec bobonne qui a du démissionner et qui s'occupe en parfumant des cadavres avec Chanel N5. "Ça me rappelle Liliane Bettencourt", qu'elle dit. Bref, Eric n'est pas très bien. Déjà que quand il sourit on l'appelle Droopy, là on a presque envie de lui tirer une balle dans l'oeil pour mettre un terme à ses souffrances. Mais je m'égare, l'occasion d'aborder la "médicalisation de la fin de vie" n'est pas venue.

Eric, donc, était interrogé il y a deux mois environ sur ce qui n'était encore que les prémices de l'affaire Woerth/Bettencour, et à un journaliste qui lui demandait s'il n'y avait pas conflit d'intérêt entre Woerth Eric, ministre du budget, et Woerth Florence, gestionnaire de fortune d'une Liliane Bettencourt soupçonnée d'avoir planqué une partie de son magot de l'autre côté des Alpes, Eric ne douta pas et répondit comme ça, cash, à l'importun : "Est-ce que j'ai une tête à couvrir une fraude fiscale ?"

Hein ? Et puis t'es moche ! Et puis je fais ce que je veux, et t'es même pas cap de m'empêcher, et c'est de la triche. Pouce.

Attention, Eric n'est pas le seul à recourir à l'argument-massue, certains de ses collègues lui emboitèrent le pas avec entrain :
- ainsi Besson Eric, ministre des diversions nauséabondes, soupçonné d'avoir utilisé les fonds de son ministère pour payer son voyage de noce, recadrant immédiatement l'imbécile accusateur :
"Est-ce que sur mon front il est vraiment marqué que je suis, un, malhonnête et deux, complètement idiot ? Je ne suis ni malhonnête, ni idiot"

- ainsi Lancar Benjamin, chef scout lipdubineux, interrogé par Arrêt sur Image sur sa conception chelou de la gauchosphère, de rétorquer ombrageusement :
"Est ce que j'ai l'air de vouloir empêcher les gens de parler ?"

Bref, ce n'est pas un cas isolé, mais Eric rimant avec "sympathique", revenons plutôt à notre canasson.

"Est-ce que j'ai une tête à couvrir de la fraude fiscale", c'est une très bonne question, Eric. Qui demanderait certainement de s'interroger sur ce qu'est une "tête à couvrir de la fraude fiscale", et de se plonger dans de longues analyses phrénologiques pour déterminer si ce sont plutôt les fronts fuyants ou les mâchoires carrés qui baisent le fisc avec le plus d'agilité. Mais est-ce une défense bien sérieuse ? Est-ce que ce ne serait pas un peu la honte, d'aller à la télévision bien habillé, le front soucieux mais le sourire paisible, et de sortir un argument d'école primaire ?

Je sais bien que notre aimable président, dont l'éloquence est un harmonieux mélange de Jean-Marie Bigard et d'un mongolien imitant Chuck Norris, creuse un peu plus à chaque intervention l'insondable gouffre de la vulgarité et de l'indigence oratoire, mais on ne nous avait pas prévenu que c'était contagieux. Si c'est le cas, on a enfin trouvé une occasion de réutiliser les masques que Roselyne a stocké pour la grippe A, dis donc !

Mais mon hypothèse est autre. Je me dis plutôt qu'à force d'ingurgiter de l'élément de langage pour chaque sujet, chaque déclaration, avant chaque passage médiatique et au moindre fait divers, tes confrères et toi vous étiolez comme une rose un lys trop arrosé, pourrissant doucement dans une nuée de moucherons. Le perroquet n'étant pas réputé pour le volume de son encéphale, il n'est pas impossible que votre cerveau si peu sollicité se mette à ramollir, à péricliter, vos synapses bientôt moins nombreuses que vos amis millionnaires, et qu'aucune pensée réellement structurée ne puisse plus émerger seule de votre soupe occipitale.

Ce n'est bien évidemment pas ma volonté de t'inquiéter, mon Eric, je sais que tu as d'autres soucis, mais il me semble même avoir détecté chez toi quelques signes de dégénérescence mentale, en premier lieu le radotage. Ce souci de proximité d'avec vos principaux électeurs est bien sûr louable, mais prends garde, ça commence à se voir.

Regarde tes dernières déclarations par exemple :
(certes captées au vol dans ce Sénat si plein de gâteux en tous genres)

1 : (mon état d'esprit est) "très déterminé, dans un état d’esprit de mener à bien cette reforme, en étant attentif à ce qui se dit mais en étant aussi très ferme et très déterminé sur la réforme"

Résumons : tu es très déterminé, mais en étant aussi très déterminé.

2 : "Ceux qui appellent à la mobilisation des jeunes sont totalement irresponsables. Quand je vois le Parti socialiste, les Verts ou le NPA appeler à la mobilisation des jeunes, c’est d’une irresponsabilité totale."

Résumons à nouveau : ceux qui sont totalement irresponsables sont d'une irresponsabilité totale.

Bel hommage à Captain Obvious, assurément, mais tu avoueras que ce n'est pas très rassurant.

Pire, il nous semble que tu perds toute capacité à dialoguer (c'est à dire à faire le lien entre ce que ton interlocuteur te dit et ce que toi tu dis) : quand tu dis que mettre les jeunes dans la rue est irresponsable (un élément de langage, suppose-t-on, puisque 50 de tes collègues le serinent depuis hier dans tous les micros qui passent), et que le journaliste te répond que les jeunes sont pourtant concernés, tu réponds :" raison de plus pour réformer les retraites", avant d'asséner l'habituelle série de questions oratoires ("Vous voudriez que les jeunes il faille les vendre pour combler le déficit c'est ça ? Vous voudriez que je sois un nazi avec une petite moustache ? Vous voudriez que j'ai une tête à couvrir la fraude fiscale ?") qui sert de ponctuation à chaque hiérarque UMP depuis l'avènement du sarkozysme.

Formalisons ça s'il te plait, sous la forme d'un joli syllogisme :
1 Mettre les jeunes dans la rue est irresponsable (sous-entendu : ils n'ont rien à voir là dedans)
2 Or les jeunes sont concernés
3 Donc il faut réformer les retraites (-> mettre les jeunes dans la rue, comme tu as pu le constater)

Vois-tu, mon ami, la modeste faille logique dans ce raisonnement plus boiteux qu'un ouvrier après les heures de sodomie que lui infligera ta réforme en carton ?

Au début, je pensais que oui. Que c'était sciemment que tu usais du sophisme comme on use du "c'est clair", pour mettre un terme immédiat à une discussion sans intérêt. Que tu mentais sciemment, et que tu comptais sur notre inattention et notre ingénuité pour gober tes contre-sens. Et que l'impunité offerte à ta caste par de serviles journalistes te grisait tant que tu osais chaque jour un peu moins tortueux, un peu plus brut dans le mensonge.

Maintenant, je doute. C'est si fréquent, si régulier, pour tout dire si systématique pour tes amis et toi, que j'en viens à envisager quelque déformation pathologique.

Alors à mon tour d'être responsable, raisonnable et pragmatique, et de vous enjoindre au calme et au repos : quittez donc cette vie usante et aliénante qu'est la politique, allez donc vous réfugier dans une belle villa gracieusement prêtée par un ami fortuné, enfilez des blouses et coiffez-vous d'entonnoirs colorés, faites une ronde et psalmodiez en choeur, loin du monde réel qui vous oppresse et diffère tant du votre, cet entêtant refrain :
"La réforme cébien, la réforme ilfolafèr, si je mens j'vais en enfer"

Et allez au diable.