mercredi 23 février 2011

La Libye ne fait pas le moine

Difficile ces derniers jours d'allumer la télévision, la radio, ou d'ouvrir un journal sans y trouver une vigoureuse dénonciation des "clans" Ben Ali, Moubarak, ou plus récemment Kadhafi. On y découvre les fortunes colossales amassées aux dépens de leurs pays respectifs par nos amis autocrates, la corruption, la violence, l'impunité, et tous ces mots désagréables qu'on s'était bien garder de leur associer jusqu'ici.

Mieux, dans le cas du colonel lybien, on lui découvre une personnalité de fou dangereux, paranoïaque, mégalomane, un cas pathologique curieusement tenu sous silence lors de sa visite en France, sous la tente et en grandes pompes il y a trois ans.

Comment interpréter cette vague d'indignation qui décille nos hommes politiques et médias nationaux ? Pourquoi la Tunisie, l'Egypte ou la Lybie sont-elles si longtemps restées d'aimables voisines sagement gouvernées par des individus certes un peu directifs, mais ô combien modernes et ambitieux ?

Prenons l'exemple de Ben Ali, et le mien (puisqu'après tout c'est moi qui écrit) : ayant eu la chance d'effectuer mon parcours scolaire dans un milieu relativement sain où l'on compte plus de couleurs de peau que de particules par classes de 6ème, j'ai cotoyé pendant mes jeunes années nombre de ces dangers pour la République que sont les arabes  musulmans  bon enfin vous voyez bien, ceux qui crachent par terre, là. Et parmi eux, un tunisien d'origine, avec qui j'ai eu la chance de me lier d'amitié et qui après quelques mois à dire n'importe quoi entre deux cours de maths me jugea assez digne de confiance pour me faire part de son avis sur le pays de ses parents. C'est ainsi que j'appris qu'en Tunisie, on pouvait aller en prison pour avoir critiqué le régime, et que de nombreux opposants "disparaissaient" au vu et au su de tous. Nous étions en 1197, j'avais 15 ans, et je découvrais Ben Ali, le dictateur tunisien.

Comment expliquer que depuis lors, et jusqu'à la chute de ce qu'il est désormais convenu d'appeler un criminel, je n'ai jamais vu le Raïs qualifié d'autre chose que d'un "grand modernisateur", d'un "partenaire commercial privilégié", d'un "invité de marque pour la présidence de la République" ? Nos journalistes sont-ils à ce point privés de ressources et de temps qu'ils ne puissent interroger le premier immigré tunisien venu pour s'enquérir du régime politique local ? Ou bien n'était-il tout simplement pas "intéressant", tout occupés que nous étions à disséquer notre (indispensable) cuisine politique nationale, de se pencher sur une dictature ,distante d'une petite Méditerranée, avec laquelle nous entretenions un florissant commerce en même temps que nous nous gargarisions des Droits de l'Homme exportables en Chine ou en Afghanistan ?

Et voilà qu'après leur chute, nos chers tyrans arabes sont soudain désignés comme tels ! Et quelle vigueur désormais pour dénoncer leur barbarie et leur cupidité si longtemps tues ! 

Voilà qui en dit long, je crois, sur la crasse nullité de notre presse, aussi prompte à tirer sur l'ambulance qu'à taire les vrais scandales. Une presse de commentaire plutôt que d'information. Une presse démissionnaire de sa mission première, et je vous épargne d'autres rimes en R.

Quant à la classe politique, a minima celle "de gouvernement", dont nous serions normalement en droit d'attendre quelque faculté d'analyse et d'anticipation, son discrédit est tel que nous ne pensons même plus à nous indigner de son silence coupable, persuadés que nous sommes des compromissions qu'elle dissimule.

Il faut voir d'ailleurs avec quelle force de perspective nos grands timoniers gèrent et ont géré la "crise lybienne". Alors que ce cher colonel K. massacre depuis trois jours son peuple à grands renforts d'avions de chasse, la diplomatie française passe à l'offensive : Nicolas Sarkozy a réclamé "l’adoption rapide de sanctions concrètes". Mieux, il souhaite "que soit examinée la suspension des relations économiques, commerciales et financières avec la Libye, jusqu’à nouvel ordre".

Outre que ces déclarations sonnent terriblement dérisoires quand les libyens meurent par milliers, on peut se demander si nos relations économiques, commerciales et financières avec le régime Kadhafi étaient beaucoup plus légitimes il y a trois semaines, trois mois ou trois ans, lorsqu'un malade mental plantait sa tente dans les jardins de l'Elysée au grand plaisir de son principal occupant. Peut-être n'était-il pas alors assez meurtrier pour mériter notre opprobre.

La diplomatie du porte-monnaie nous rend de grands services, à n'en pas douter.

1 commentaire:

Regarde-toi dans une glace et fais comme elle : réfléchis.