mercredi 20 octobre 2010

Stop les graves

Hier, lever à 6h30 pour arriver et, incidemment, partir (plus) tôt du boulot (un bisou à mon boss, pourtant pas vraiment du même bord politique, qui m'autorise cette petite translation horaire pour aller jeter des cailloux aux CRS), pour une sixième manifestation d'affilée.

J'ai rejoint l'un des deux cortèges entre Vavin et Montparnasse, et l'ai trouvé particulièrement clairsemé, au point de me filer le bourdon. Impression erronée, semblerait-il, les télés et le volume sonore derrière mes correspondants téléphoniques rejoints pour l'occasion confirmant que, je cite, "la mobilisation ne faiblit pas". Comme quoi on a tendance à calquer nos propres sentiments sur nos perceptions (c'est une grande découverte, je te l'accorde) : un semblant de découragement m'induisait à croire que tout le monde se décourageait. Heureusement qu'il y en a de plus solides que moi.

En parlant de trucs solides, il y en a qui en tiennent une couche de l'épaisseur de la lithosphère : je viens de tomber sur un groupe facebook particulièrement digne, qui s'appelle "Contre-Manifestation en ligne le 21 octobre 2010".

Lancée par le collectif "Stop la grève" (j'aurais honte d'améliorer leur référencement si je n'avais pas moins d'un lecteur mensuel) et soutenue par l'UNI (syndicat étudiant affilié à l'UMP), cette initiative se targue, je cite, de "dire avec force et conviction : STOP LA GREVE." sans " faire peser le poids de notre engagement sur les usagers".

Sur le refrain désormais connu du "les grévistes ils pensent qu'à eux", ce joyeux collectif se propose de manifester courageusement son opposition à l'opposition à la réforme des retraites en rejoignant un groupe facebook, ce qui vous l'admettrez est quand même plus poli et civilisé que d'aller crier des trucs dans la rue.

Je me demande jusqu'à quel point ils croient à ce qu'il raconte quand ils expliquent que s'ils ne manifestent pas pour de vrai, ce n'est pas du tout parce qu'un clic est moins coûteux qu'un jour de grève ou trois heures dans le froid, mais parce qu'ils sont respectueux et responsables et qu'ils ne veulent pas troubler la quiétude de leur prochain.

Déguiser sa lâcheté, son autisme et son idéologie délétère derrière une soi-disant "responsabilité" est certes devenu un sport national chez nos chers ministres, mais qu'il soit repris par une telle chorale d'abrutis me rend aussi furieux qu'amer.

Qu'on puisse s'opposer aux revendications des grévistes, il va de soi que je le conçois, je passe ma vie entouré de gens résignés, qui s'en foutent et/ou en désaccord avec les grévistes, et qui considèrent au mieux comme vain, au pire comme soviétique de manifester pour s'opposer à cette réforme. Je ne suis évidemment pas d'accord avec eux, et si je me livre (sans grande efficacité je le crains) à nombre de discours exaltés ou culpabilisateurs pour les convaincre du bien fondé de ces protestations, je ne leur prête pas le dixième de la bêtise et du mépris que je constate dans la prose débilitante des membres de ce groupe.

Quelques petites citations pour vous mettre en appétit :

Erik B. : "La rue livrée à la racaille...! Va falloir faire le grand ménage, c'est déjà ca !"

Vincent S. : "Rien à foutre de la réforme, rien à que les gens sortent pour gueuler par contre pas rien à foutre que les putains d'feignant de gréviste me bloque pour aller bosser, m'empêche de faire le plein pour bosser, certain ce font même licencier à cause de c connerie ! Comparativement, un gars de la sncf pourrai lui toujours... avoir c 5 semaine (ou plus) de vacances, d'ailleurs ils partiras gratuitement en train avec sa famille en vacance le veinard, ou avec c nombreux RTT, puis avec son C.E d'enfer il auras des prix en or pour plein d'activité et pourras même partir en prés retraite vers 45 ans ???? Et putain il trouve encore le moyen de sortir gueuler ??????? Trou du cul de gréviste de merde !!!!!!!!! (valable aussi pour de nombreux fonctionnaire)."

Amaury C. : "C'est honteux une minorité qui met en péril l'économie Française, qui empêche les gens de se rendre sur leurs lieux de travail, mais manifester chez vous et n’emmerdez pas les autres bande de LOOSER!"

Que ressort-il de cette diarrhée rageuse qui leur fait office de langage :
- le gréviste est un casseur
- le gréviste est un fainéant
- le gréviste est un privilégié
- le gréviste devrait rester chez lui pour respecter les autres
(note : je ne prends pas la peine de distinguer manifestant et gréviste, j'ai peur de les embrouiller)

Ce qui permet de constater qu'au lieu d'une opposition intellectuelle (idéologique, morale ou autre) à la démarche de ceux qui manifestent, le moteur de cette clique est un savant mélange d'aigreur ("ces fainéants"), de peur ("ces casseurs") et d'envie ("ces privilégiés"), noyés dans une grumeleuse soupe de nombril.
"MOI je travaille, MOI j'ai des soucis, pourquoi ils M'emmerdent MOI, ces cons". Terrifiant mantra égocentré, négation de toute possibilité de collaboration, de solidarité, de lien quelconque entre celui qui le psalmodie et ceux qu'il insulte.

Je ne veux faire l'apologie ni des grévistes, dont les motifs ne sont évidemment forgés de l'altruisme le plus pur, ni de certains lycéens pour qui la participation aux manifestations est moins régie par le bien commun que par la perspective de s'offrir une révolte adolescente et une journée de vacances au prix d'un ticket de métro (quand ils ne fraudent pas, ces enculés) .Mais comment nier qu'il existe une profonde "vérité" dans une mobilisation qui regroupe autant de monde, autant de gens différents, pour un objectif qui dépasse de loin le simple intérêt individuel ?

Quel degré d'abêtissement politique peut conduire à imaginer que les grévistes devraient "faire la grève chez eux" ? Quelle négation de la société peut conduire à tout voir par le prisme du chacun pour sa gueule, au point de ne prêter aux autres que la seule volonté de "conserver ses privilèges" ?

On pourra toujours renvoyer droite et gauche dos-à-dos sur ce sujet, je demeure convaincu que le clientélisme délibéré et la division systématique du peuple en catégories antagonistes dont use sans modération cette droite "décomplexée" fait un mal indescriptible à la nation qu'elle prétend incarner et à la république qu'elle prétend défendre.

Un mal dont je ne suis pas certain qu'on pourra se soigner sans dommage, malgré la salutaire poussée de fièvre de ces dernières semaines.

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