lundi 15 février 2010

[Polis] Ta rame et le chaudron magique

Il est des génies politiques que la postérité, austère et cruelle maitresse, ne retiendra pas. D'authentiques visionnaires qui resteront dans l'ombre des siècles, alors que même la soeur (!) de Céline Dion (!) a le droit à son gros quart d'heure de gloire. La vie est une putain et nous sommes ses enfants.

Si ce constat est terrible, il est de notre devoir d'homme de lui opposer, de toute notre âme, une lutte sans merci pour mettre en lumière ces individus exceptionnels qui se voient refuser le piedestal qui leur revient de droit.

Ainsi en est-il de Bruno Beschizza. Tu ne sais pas qui c'est, lecteur ? Que te disais-je plus haut ?

Bruno Beschizza est tête de liste UMP en Seine Saint Denis pour les élections régionales de 2010 (excuse-moi cette extrême précision, mais il est important que les historiens du futur disposent de tout le contexte nécessaire). Il est également policier, et secrétaire général d'un syndicat de policiers portant le joli nom de Synergie Officiers" (que de riantes figures affichées sur leur homepage !). J'aimerais te dire qu'il aime faire du vélo et manger le délicieux pot-au-feu de sa maman le week-end, mais ce sont des détails que même les tentacules insidieux de l'Internet 2.0 ne peuvent me fournir.

Bruno est donc chef de file de la majorité présidentielle dans le département des "quartiers" et des jeunes passablement irrespectueux qui portent leur couvre-chef à visière dans un sens que la morale républicaine réprouve. C'est pas facile. Et pour se démarquer d'une concurrence acharnée, c'est le policier qui a inspiré le candidat : "mec, les gens ont peur, et les gens n'aiment pas avoir peur, alors l'idée, c'est de leur montrer que t'as des idées pour qu'ils aient moins peur". Oh, cette démarche n'est pas neuve, elle tient lieu de politique intérieure à la droite depuis quelques décennies. Mais Bruno n'est pas n'importe quel édile populiste, il a les deux pieds campés sur le terrain, et quand il fait des propositions, c'est du concret. Vois plutôt :

"Dans les transports, systématiquement le soir (il fallait) faire en sorte que les femmes seules aient un accès privilégié dans le premier wagon, qu'il soit sur-vidéoprotégé, pour que les gens se sentent en sécurité"

Humes-tu le puissant parfum de foudre qui flotte dans l'air ?

Bruno s'est appuyé, pour cette brillante proposition, sur plusieurs axiomes empiriquement démontrés :
- Les femmes seules aiment être protégées
- La vidéo-surveillance rassure les gens
- Le premier wagon est proche du conducteur

Un esprit quelconque n'en aurait certainement rien tiré, mais quand Bruno a écrit sur son cahier Clairefontaine à petits carreaux ces trois constats frappés du bon sens, BINGO : une idée.

Des fâcheux, animés d'une jalousie minable qui les déshonore, ont alors souligné que si les femmes seules aimaient être protégées, il existait des petits vieux, des couples inquiets, et même parfois de grands et virils électriciens qui l'aimaient aussi. Le doute aurait pu s'instaurer alors chez Bruno, mais quand on tient une idée pareille, on ne l'abandonne pas au premier détail venu.

"On m'a mal compris, ce wagon ne serait pas “réservé” aux femmes, mais à toutes les personnes qui veulent être protégées. Pour moi, la femme est l'exemple de la personne la plus vulnérable, mais elles n'ont pas l'exclusivité de la vulnérabilité. Un ado de 15 ans, qui a peur, pourrait aussi y accéder…"

Alors les fâcheux, les jaloux, vous êtes calmés non ?

Fonce, Bruno, fonce, t'es un champion.

Nous passerons amicalement sur la mention de la femme comme "la personne la plus vulnérable", ne nous embarquons pas dans un procès du paternalisme old-school qui enfonceraient les portes ouvertes comme un bataillon de CRS une manifestation d'étudiants. Réfléchissons, pour prendre un peu d'avance sur Bruno, sur les modalités d'application de cette idée lumineuse.

D'abord, il y aurait un agent (de police, de la RATP,...) à l'entrée de la rame qui contrôlerait les entrants. "Tu veux être protégé ? T'es sûr ? Ok, tu rentres", "Wowowo, tu me parais en bien bonne santé toi. T'es sûr que tu souhaites qu'on te protège ? T'es un peu une tafiole non ?", etc. Outre qu'en heure de pointe, un tel filtrage peut vite devenir funky, risque de se poser un problème de taille : comment faire s'il n'y a plus de place ?

Première proposition : faire une première rame plus grande, pour que plus de gens qui souhaitent être protégés puissent être protégés. Ou mieux : un métro en une seule rame, très longue. Comme ça tout le monde peut monter.

Autre suggestion : trier. Si une femme (fragile) enceinte (très fragile) et en mini-jupe (donc sujette à des menaces de type attouchements sexuels répréhensibles) se présente devant la rame pleine, il est nécessaire d'en faire descendre un individu certes assoiffé de protection, mais moins menacé. Par exemple l'adolescent de 15 ans mentionné à titre gracieux par Bruno, mais qui de toute façon n'a rien à faire dans le métro à son âge, t'es pas au courant pour le couvre-feu ?

Enfin ne nous attardons pas sur ce problème, puisque des solutions existent...Aux angélistes irrationnels qui chipotent, Bruno a déjà une réponse toute faite : "Vous savez, la politique, ça peut être des mesures de bon sens, lisibles par tout le monde, pas besoin d'être bac +25". Ok ?

Je m'autorise alors une dernière remarque, lisible et de bon sens : une fois la distinction faite entre les personnes à protéger et les autres, qu'adviendra-t-il de ces dernières ?

Tous les êtres humains naissent et demeurent libres et égaux en dignité et en droits, nous dit la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, qu'on gagnerait à connaître par coeur même quand on n'est pas bac+25.

Libres et égaux en droits, mais dans le métro on va s'arranger. Forza UMP.

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Regarde-toi dans une glace et fais comme elle : réfléchis.