lundi 8 février 2010

Burqaholic

Je me complais, ces derniers temps, dans un silence qui pourrait te laisser penser, lecteur singulier, que l'actualité me laisse froid comme le cadavre du PSG. Ce serait une erreur : je bouillonne, mais cette ébullition s'accompagne désormais d'une prudence qui confine à la pusillanimité. Par ailleurs, j'écris moins souvent, mais des mots plus longs, question de quotas.

Je voudrais donc te dire tout le mal que je pense tout du débat sur le voile intégral, débat moisi où chaque prise de position se fait en équilibre instable entre la juste morale républicaine et la sourde islamophobie. Après le vilain contre-feu bessonien de l'identité nationale, il n'est par ailleurs aucun doute que si le sujet tombe sur le tapis (persan) c'est moins par préoccupation laïque que pour occuper le chaland en attendant des jours meilleurs de croissance à deux chiffres. Lancé dans ces conditions, une telle polémique accouche rarement de sains infants, mais on est ici dans un cas d'école qui mérite d'être évoqué.

Sachons avant tout de quoi on parle : je recommande à ce titre, et même si ça fait plouc 2.0, l'article de wikipedia consacré au sujet. On y apprend que la nature du voile (hijab) n'est pas si évidemment islamique, et que son port n'est pas, ou pas seulement, un signe de dévotion. On y découvre également ses variantes, du tchador iranien (qui ne couvre que les cheveux) à la célèbre burqa afghane. Riche de cette lecture on peut se lancer, avec circonspection et des bottes à clous, sur le terrain glissant du "débat" qui agite nos actualités.

Celui-ci concerne officiellement le port du voile dit "intégral", c'est à dire dissimulant en plus du corps le visage de la femme qui l'arbore. Néanmoins, la récente polémique née de la présence sur une liste NPA d'une jeune femme affublée d'un tchador (qui, si tu suis lecteur, ne cache que les cheveux) semble indiquer que le problème est plus général, et que c'est le voile islamique dans son ensemble qui est sous le feu des projecteurs, et des députés à la gâchette facile.

Avant d'aborder les remèdes préconisés par nos hommes politiques, penchons-nous sur le problème que pose cet accessoire.

Le voile est-il un symbole d'oppression de la femme ?

Le Coran et ses exégètes justifient son port par la pudeur, par la nécessité de ne pas éveiller de désir illégitime chez ceux qu'elle croise. Qu'il cache les cheveux, le visage, ou la femme toute entière ne change pas son principe initial, mais reflète simplement le degré de paranoïa et d'extrémisme de ses prescripteurs. Comme le dit fort justement Mélenchon, cela revient à définir avant tout la femme comme un objet de prédation sexuelle, qu'il faut préserver et/ou réserver à son juste propriétaire. On a connu plus féministe comme position.

Mais si le voile intégral est un indiscutable symbole d'aliénation paternaliste, il faut aussi comprendre qu'il peut être vécu comme libérateur. La femme d'aujourd'hui, en France, n'est certes plus définie comme objet sexuel, mais nier cette assimilation relève du négationnisme : elle est nue dans les pubs, on lui martèle la beauté comme synonyme de bien-être, et il suffit de suivre les regards d'homme partageant une rame avec une femme en décolleté pour comprendre que les relations homme/femme ne sont pas tout à fait exemptes d'une tension sexuelle qui peut devenir pénible pour la désirée. Le voile, qui soustrait au regard et prive l'autre de l'inévitable jugement "esthétique", peut donc s'avérer apaisant plutôt qu'opprimant. Attention, je ne légitime rien. Constater le mal-être féminin ne revient pas à approuver la solution expéditive qu'adoptent certaines. La libération de la femme est loin d'être achevée, et c'est dans ce sens là plutôt que dans un retour à l'enfermement, même symbolique, que se trouve la juste réponse à ce malaise. Un paramètre à prendre en considération avant de ranger celles qui le portent parmi les dévotes ou les provocatrices.

Une fois admis que le voile, si intégral soit-il, n'est pas tout à fait assimilable à l'excision ou la lapidation des femmes adultères en terme d'obscurantisme phallocrate, nous devons nous poser une seconde question :

Le port du voile est-il compatible avec la République Française ?

La République Française, rappelons-le puisqu'on lui fait l'honneur des majuscules, se revendique "indivisible, laïque, démocratique et sociale". Indivisible, certes, démocratique et sociale, c'est pas le moment, mais laïque, ah oui, voilà qui nous intéresse.

On a trop souvent tendance à confondre (et moi le premier), la laïcité avec l'anticléricalisme ou l'athéisme, ce qui est inexact. La laïcité, qui sépare l'Église et l'État (ou plus généralement le civil et le religieux), prône la liberté de conscience, et met sur le même plan le croyant (chrétien, juif, musulman, bouddhiste, scientologue, etc.) et le mécréant (comme moi, par exemple). Ainsi, elle ne s'oppose pas, loin de là, à la religion, mais la rejette hors de la sphère publique et particulièrement politique. Voilà pour les grandes lignes. Concernant le voile islamique, le problème repose donc sur deux aspects : son caractère religieux, d'abord, et le cas échéant, sa légitimité dans l'espace public.

Pour le caractère religieux, il est indéniable. Même les femmes qui ont recours pour d'autres raisons que le prosélytisme (voir plus haut) ne peuvent ignorer qu'il s'agit d'un symbole islamique, au même titre qu'un homme qui porterait la kippa "parce que ça cache la calvitie" ne pourrait en ignorer le caractère juif. Le fait d'occulter le visage, dont viennent les comparaisons avec les cagoules ou les "masques de Mickey" (merci Frédéric, tu es grand), est au mieux une circonstance aggravante, mais reste marginal. Jean-François Copé expliquant à une emburquée que le problème vient surtout du fait qu'il ne peut pas voir son sourire est donc légèrement à coté de la plaque, à moins qu'il s'agisse simplement - mais je n'ose lui prêter de telles intentions - d'une manœuvre électoraliste destinée à noyer le poisson islamophobe dans la soupe de mièvrerie (je renvoie accessoirement vers la chronique de Didier Porte, de France Inter, sur le sujet, et vais dans son sens : cette pauvre fille avait besoin d'un psy, pas d'un député UMP moraliste).

Nous restons donc avec un voile d'une main, et un espace public de l'autre. La loi (de 2004), qui n'est pas la moitié d'une imbécile, nous dit assez clairement qu'il est interdit d'arborer dans les établissements (publics) d'enseignement primaires et secondaires tout vêtement ou objet "manifestant ostensiblement une appartenance religieuse". Cette loi, créée à l'occasion d'une polémique (déjà) sur le voile à l'école ne concerne pas que les musulmans : un turban sikh, ou une kippa, sont autant de "signes ostentatoires" sanctionnés. En cela, elle répondait à l'injonction républicaine d'une éducation laïque censée former des citoyens égaux, et dont la religion relève et relèvera du domaine purement privé.

Nous parlons ici d'établissements scolaires, sous l'autorité de l'État qui, rappelons-le une dernière fois, est totalement indépendant de l'Église. Cette loi avait donc un sens, comme elle en aurait un dans tout établissement public : une administration, un hôpital, etc., avec une moindre criticité certes puisqu'en opposition moins frontale avec le rôle de ces établissements qu'une école (quoique l'hopital...).

Une loi ne s'impose cependant qu'à partir du moment où se multiplient les cas d'opposition frontale entre les principes fondateurs de la République et un comportement particulier (ici la manifestation d'appartenance religieuse). C'était le cas pour le voile à l'école, est-ce le cas pour la burqa aujourd'hui ? Symboliquement, on pourrait le penser, même si les cas sont rares, sur-médiatisés, et qu'on peine à démêler le véritable sens de cette petite pluie de prisons textiles qu'on rattache à mon avis trop systématiquement à l'intégrisme.

Seulement voilà, cette polémique tombe après les dérapages verbaux de plusieurs ministres, après un référendum suisse débile auquel le président de la république (sans majuscule cette fois, il est si petit) a fait l'honneur d'une tribune dans le Monde, après maints anathèmes islamophobes à base de "ils sont partout", "ils nous envahissent", "et les vraies valeurs de la France chrétienne". On peut donc légitimement supposer qu'il s'agit moins de défendre, même symboliquement, la laïcité menacée que de pourfendre du musulman en brassant du vent phobique autour de quelques cas particuliers. C'est une tradition sarkozyste, que de légiférer dès que ça peut rapporter quelques points de sondage, mais les motivations républicaines, les pauvres, sont bien loin.

Moralité : je suis absolument opposé à la burqa dans les lieux publics, mais je ne suis pas convaincu qu'une loi ait d'autre intérêt que de flatter l'imbécile anti-musulman dans ses préjugés. Alors en attendant que toutes les femmes sur le sol français soient délivrées qui de leurs angoisses, qui de leurs aliénations, je propose que nous nous mettions tous tout nus tout le temps : plus d'habits, plus de pudeur. Plus de pudeur, plus de burqa.

Et puis je laisse la conclusion à Jean-Luc Mélenchon, qui est décidément loin d'être un imbécile : "Marcelle a tort de dire que je me laisse engluer dans la critique radicale de la burka. Mais il a raison, mille fois raison, de dire que le fond de l’air est délibérément tourné à l’obsession contre les pratiquants de la religion musulmane. (...) Comment maintenir ses convictions et ses principes sans se prêter au jeu qui en détourne toute la signification. Je rumine"

Je rumine de concert.

PS : quant à la pauvre militante NPA, j'avoue que sa candidature me gratte, mais sans que je puisse justifier cette démangeaison par autre chose que du procès d'intention et du principe mal digéré. J'ai lu récemment qu'aborder sa candidature comme celle d'une femme voilée, c'est la résumer avant tout à sa condition de musulmane. C'est juste, et pas moins intolérable que de résumer Fabius à sa condition de juif. L'ostentation reste avant tout une intention, pas un état de fait.

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Regarde-toi dans une glace et fais comme elle : réfléchis.