mardi 23 novembre 2010

Booste ton nombril

Hier, c'était "journée de mobilisation" contre la réforme des retraites. Je n'y suis pas allé, et il semblerait que j'ai été suivi dans ma démarche par une écrasante majorité de français, ce qui montre bien que l'influence de ce blog ne se limite pas au décompte de ses lecteurs.

Je n'y suis pas allé, d'abord parce que j'avais oublié, et ensuite parce que je me suis résigné, ce dont je ne tire aucune fierté, et qui ne témoigne d'aucune "lucidité" bienvenue, c'est juste de la flemme et je remercie les rares courageux qui sont allés dans la rue dans le froid et l'indifférence générale pour rappeler qu'un tel mépris des élites pour le reste de la population française dépasserait forcément les bornes de la "séquence politique" définie par les partis et les médias.

Je vaquais donc à mes modestes occupations professionnelles, et alors que se dissipait progressivement ce sentiment de honte démissionnaire, le destin (cet enculé facétieux) est venu frapper à ma porte pour me rappeler que pareil renoncement moral se payait toujours.

En l'occurrence, le destin prenait la forme d'un mail de ma boîte annonçant une conférence interne sur le thème suivant : "Comment booster sa retraite ?" et qui se déclinait comme suit :
Allocations, pensions, rentes, taux : qu’on les conjugue au présent et pour nombre d’entre nous au futur, l’essentiel est de ne pas les mettre au conditionnel !
Or, la réforme en cours mettant en exergue les limites du régime actuel de retraites par répartition, nous manquons tous de visibilité quant à l’évolution du système dans sa globalité et au niveau de notre future pension de retraite en particulier.
De fait, il appartient aujourd’hui à chacun d'entre nous de préparer son avenir, à l'aide notamment des différents outils d'épargne retraite.(...)
Les intervenants issus de la filiale [PLIPLIPLIPLI] se proposent de répondre à ces questions, afin de nous aider à y voir plus clair, et nous donnent quelques conseils pour booster notre retraite.
Cela part certainement d'une bonne intention, hein, c'est sympa de vouloir éloigner de ses collègues et collaborateurs le spectre de la paupérisation. Mais recevoir cet hymne à la capitalisation privée, cet ode à l'individualisme forcené ou il appartient aujourd’hui à chacun d'entre nous de préparer son avenir" le jour même où quelques milliers d'inconscients un peu plus déterminés que les autres vont rappeler combien la réforme récemment votée menace les plus faibles d'entre nous, ça me laisse un goût amer dans la bouche. Parce que ça me rappelle d'abord que, sauf catastrophe, je fais partie des "protégés" sans le mériter aucunement. Et ensuite pour ce que cela dit du degré d'atomisation de notre société, où l'important n'est plus de construire un système satisfaisant pour tous, mais de se mettre à l'abri, si possible en filant ses thunes aux banques et aux assurances qui "boosteront" (j'ai du mal à décrire la haine que j'éprouve pour ces "jeunismes" de demeurés) avec enthousiasme nos petits patrimoines.

Un témoignage supplémentaire de la guerre idéologique du "chacun pour soi", menée tambour-battant par une droite qui accumule les escarmouches contre toute construction (et protection) collective comme Eric Woerth les casseroles ou Moundir les aphorismes dyslexiques, et qui est en passe de l'emporter devant l'apathie de l'opposition et la résignation des glands qui considèrent la conscience politique comme une lubie ringarde depuis que le capitalisme nous a conduit à cette putain de fin de l'Histoire.

A dans trois mois pour ma prochaine déprime sur le thème du "comment minorer ses dépenses santé" suite à "la réforme en cours mettant en exergue les limites de notre système de sécurité sociale".

En attendant abattez les tous, Dieu reconnaitra Michael Essien.

jeudi 18 novembre 2010

Ronchonnons sur Mélenchon

C'est quelque chose qui va surprendre, mais comme vous êtes aussi nombreux que les genoux d'un unijambiste, je doute que cette révélation génère d'indisposants remous dans le monde réel : Mélenchon m'énerve.

Je souscris bien entendu toujours au fond du discours, jusque dans ses outrances (dénoncer partout l'oligarchie, jusqu'à la caricature). Mais la construction émergente de son personnage médiatique, s'enfermant progressivement dans ce détestable rôle de clown (pardon, on dit "bon client") qui plait d'autant plus aux médias qu'ils peuvent se gargariser de la forme du discours sans jamais se pencher sur son sens, ça me gonfle. Et ça me gonfle d'autant plus que ce n'est jamais complètement à son insu qu'on se retrouve à agiter ses grelots pour divertir les imbéciles.

Bref, le voir chez Drucker me désole, et je crains que cette "visibilité" dont il jouit nouvellement ne soit aussi éphémère qu'inutile pour sa démarche politique.

Et pourtant, chaque fois que le renoncement point et que je m'apprête à lui en vouloir VRAIMENT de son spectacle narcisso-gauchiste, il se débrouille systématiquement pour dire quelque chose de juste. Et la justesse est tellement rare en ces temps de communication politique où ne s'affrontent plus qu'hypocrisie et calcul contre hypocrisie et calcul, que je ne peux qu'y souscrire.

Je ne sais pas si je veux que Jean-Luc Mélenchon soit président de la République. Je sais en revanche que ce qu'il dit mériterait d'être écouté par tous, indépendamment des idéologies et convictions de chacun, et si possible au-delà de la simple forme de son discours.

Et cette écoute, je t'y enjoins, mon unique lecteur (même si t'es un bot), et je suis désolé de faire peser sur tes frêles épaules le poids d'un tel enthousiasme.

(bon et puis j'ai investi dans son bouquin, "Qu'ils s'en aillent tous", que je critiquerai certainement ici en essayant d'éviter les yeux de Chimène)

Du pipeau présidentiel

Le drame de faire des brouillons sur l'actualité, c'est que quand on les oublie, et qu'on les publie dix jours plus tard, on a l'air d'un con. Voilà, vous êtes prévenus.

Je ne suis pas plein d'abnégation. C'est un aveu terrible, douloureux, et d'autant plus cuisant que je le fais sans ironie aucune : je n'ai pas cette volonté et cet orgueil qui pousse à se faire violence, à se dépasser pour un objectif, le pouvoir, le bonheur, le bon, que sais-je. Je laisse couler, je suis passif, je m'en fous, je subis.

Ainsi, mardi soir, j'aurais voulu regarder Nicolas Sarkozy partager avec nous son bilan et sa vision, mais j'ai tenu dix minutes avant de zapper sur France-Russie Espoirs. J'ai beau jeu ensuite de moquer l'absence de conscience politique des légumes qui me tiennent lieu de collègues, et en plus c'était même pas un bon match. Mais les dix minutes m'ont quand même permis un constat : ce mec est d'un culot qui confine au prodige. Relancé un peu teigneusement par David Pujadas sur le discours de Grenoble et plus spécifiquement la chasse aux Roms qu'il a déclenché, Nicolas Sarkozy
(je m'autorise un petit aparté : sache, lecteur, que je ne sais jamais comment désigner le président de la République.
"Président de la République", je n'y arrive pas, une sorte de déni de la réalité et d'espoir fou que ce soit une erreur et qu'en réalité il soit préposé aux à l'entretien sanitaire dans une mine de potasse en Géorgie.
"Le chef de l'État" ça me fait déjà moins mal, mais tu sais que dans mon bolchévisme effréné j'ai quelque sympathie pour ce pauvre État et j'ai pas envie de remuer le couteau dans la plaie.
"Sarko", ça sonne trop familier, presque "copain", et bon, enfin t'as compris.
"Nicolas", j'en parle même pas.
J'opte donc en général pour le lourd mais neutre "Nicolas Sarkozy". Voilà, tu sais tout).
Nicolas Sarkozy, disais-je, répond à D.Pujadas que "miroir magique, ça revient sur toi". Plus précisément, le voilà qui explique à la France (via la télé) que s'il est venu à Grenoble, et s'il a discouru de choses que même les plus aimables d'entre nous qualifieront "d'amalgames puants", c'est parce que les journaux ouvraient leur 20H dessus et que, bon, il était obligé, et que s'ils voulaient pas qu'il en parle, ils avaient qu'à pas en parler eux-mêmes.
(vous avez remarqué comme Nicolas Sarkozy n'aime pas les ne et les n' dans ces discours ? Il les mange systématiquement, ce qui donne en général l'impression d'un niveau de syntaxe proche de celui d'un joueur de foot)

Outre que le mensonge est consternant d'évidence (Hortefeux n'a évidemment pas attendu les journaux de 20h pour aller montrer les muscles gouvernementaux à Grenoble), ce pitoyable alibi m'apparait comme plus criminel encore que le crime originel. Car que comprendre sinon qu'il serait parfaitement normal que le Président de la République (cette fois je l'écris, mais c'est pour être solennel) gouverne au gré des reportages du 20h. On savait déjà son goût pour les sondages, on est désormais prier de croire que sa seconde boussole, c'est ce que raconte TF1 entre la Roue la Fortune et la météo.

Plus sérieusement, il est désormais évident que Nicolas Sarkozy nous prend, nous, ses "chers" compatriotes", pour des imbéciles finis, et à ce degré de mépris pour nos intelligences, on se demande bien sous quelles couches d'arrogance et de préoccupations nombrilesques est enfoui la conscience de l'intérêt général qu'il est censé représenter. Sûrement coincée entre ses souvenirs du stade anal et le désir instinctif d'épouse sa mère, je ne sais pas si les facs de psycho sont dotées de sections "archéologie" pour nous renseigner.

Pour le reste de l'allocution (j'avais écrit "élocution", mais c'est pas joli de se moquer des handicapés, et puis essayez de bien prononcer les mots en ayant à la fois un sourire crispé pour avoir l'air sympa et les machoires serrées pour avoir l'air déterminé), j'ai du m'en remettre à internet, et je dois avouer que je ne suis pas dessus.

En m'appuyant sur ça, ça, ou ça, j'en déduis que j'ai raté un joli résumé de ce que la politique actuelle fait de plus méprisable, à savoir :
- s'appuyer sur l'exemple étranger pour justifier n'importe quelle décision, fut-elle l'inverse de celle d'il y a trois mois
- étayer de chiffres sortis du chapeau des constats plus que discutables
- présenter chacun de ses choix politiques comme une évidence sans alternative
- mentir effrontément (le passage sur Woerth qui aurait "souhaité quitter le gouvernement" alors qu'il déclarait trois jours plus tôt sur une petite radio confidentielle, RTL, vouloir y rester, est particulièrement savoureux)
- agresser l'interlocuteur (choisi préalablement pour sa grande pugnacité) pour esquiver les questions qui fâchent et pour lesquelles aucun élément de langage n'a été préparé par les spin-doctors de l'Elysée

Qu'on se rassure cependant, personne de réellement important n'a pris la peine de commenter sérieusement cette intervention.
A gauche, on a lu des communiqués probablement rédigés avant même le passage télévisé, avec des gros morceaux de "président affaibli", "éloigné des français", et autres petites phrases construites pour buzzer plutôt que pour éclairer.
A droite, on a lu des communiqués probablement rédigés eux aussi avant le passage télévisé, avec des gros morceaux de "les mots justes", "langage de vérité" et autre "volonté de poursuivre les réformes" qui sonnent aussi juste qu'une chanson live de Coeur de Pirate.

Une petite mention spéciale à Frédéric Lefebvre et son "le visage d'un président à la hauteur de la hauteur des attentes des Français", qu'on pourrait presque prendre pour un chambrage à la hauteur de la hauteur de mes attentes si ça n'émanait du plus servile des grognards de la majorité.

(liste des principales réactions ici)

Bref, on a une nouvelle fois assisté (enfin, "vous", moi j'ai regardé du foot) à deux heures de communication politicienne, bassement calculatrice, aussi dépourvue de respect pour les citoyens téléspectateurs qu'éloignée de la politique au sens noble du terme que

mercredi 10 novembre 2010

L'emploi et l'allégresse

Hey, toi le jeune !

Ouais, toi, avec tes boutons, tes converses et tes slogans de mongoliens. Tu veux du boulot ? Pas du fatiguant hein, un boulot cool, bien payé, pas compliqué, avec des horaires comme t'as envie et plein d'avantages du genre voiture de fonction, déjeuner gratuit, et plein d'invitations à des soirées. Bon, faut venir bien habillé, ça va te réclamer un effort considérable, mais ça vaut le coup, promis.

Intéressé ? Cool.

Alors tu vois, tu fais comme Claude, une belle lettre de motivation (t'es pas obligé de la faire aussi longue, mais prends exemple niveau flatterie, c'est un maître), tu trouves un pote pour la publier dans son journal de droite, et je te donne 50% de te choper un poste peinard de secrétaire d'Etat ou de chef d'une commission inutile.

Allez bon courage, et n'oublie pas de finir sur une citation pour faire joli(mais pas trop intello, faut que le RH comprenne).

Volapuk bancaire

Quand j'étais petit (je veux dire plus encore qu'aujourd'hui), j'adorais recevoir du courrier. Je crois d’ailleurs pouvoir généraliser à beaucoup d’enfants cet enthousiasme devant l’enveloppe timbrée à son nom, enthousiasme éphémère puisqu’avec l’entrée dans l’age adulte apparaît ce courrier qui n’en mérite pas le nom, ces ersatz de lettres qui te donnent des nouvelles non pas de tes proches, mais de tes créanciers. Et je connais peu de gens que la réception d’une facture ou d’une relance pour s’abonner au Monde avec une économie de 33% et un réveil en cuir offert emplit d’une exaltation similaire à celle de Barnabé, 8 ans, recevant une lettre de sa mamie pour son anniversaire.

Troquer cette joie juvénile pour une indifférence blasée à l’égard du courrier me semble d’ailleurs un bien meilleur marqueur d’entrée dans l’age des responsabilités que, par exemple, la calvitie. Je dis ça au hasard, évidemment.

Pour ma part, n’étant entré dans l’age des grandes personnes que du bout des orteils, je suis partagé : les enveloppes « connues » - le loyer, le relevé de compte, la relance mensuelle pour que je donne des sous à la Croix Rouge - m’indiffèrent désormais en digne adulte que je suis ; en revanche, toute enveloppe non-identifiée me ramène à mes jeunes années et c’est avec une précipitation fébrile que je décachette les lettres mystérieuses. Avec au bout, souvent, la cruelle désillusion d'une pub ou d'une facture mieux déguisée que les autres.

La semaine dernière, un courrier de ce type est arrivé : enveloppe grand format non siglée à une date ne correspondant à aucune échéance des impôts ou de mon abonnement à la gazette du cheval d’arçon, typiquement le genre de lettre qui m’intrigue et me fait gravir mes escaliers un peu plus vite pour jeter mon sac par terre et la décacheter. Donc je gravis, je jette, je décachette, et je tombe sur…une lettre de la Société Générale.

Déçu, je m’apprête à poser le courrier sur le tas « courrier non lu qui ne sera jamais lu », dont le destin est de finir à la poubelle après six mois d’exhibition sur la table de mon salon, lorsque pris d’une inspiration subite, je me lance dans la lecture de la première page.

Monsieur, (déjà j'aime pas trop quand on m'appelle Monsieur)

Au titre de l’épargne salariale mise en place dans votre entreprise, [Lililii](attends, je tiens à ma vie privée), vous détenez en date du 30 septembre 2010 des parts dans le compartiment suivant du FCPE ARCANDIA géré par Société Générale Gestion (S2G) et dont le dépositaire est Société Générale : ARCANDIA Sécurité

(là je me dis : putain, j’ai des PARTS dans un FONDS. Ça sonne milliardaire, ça, non ?)

Afin de rendre la structure du fonds ARCANDIA plus lisible, le Conseil de Surveillance du fonds a été informé, et le cas échéant a adopté, au cours de sa réunion du 29 juin 2010 et sur proposition de la société de gestion, plusieurs modifications, dont les principales caractéristiques vous concernant sont les suivantes :

ARCANDIA Sécurité : Ce compartiment devient nourricier du fonds maitre AMUNDI TRESO ISR. En conséquence, il sera investi en permanence et en totalité dans le FCP AMUNDI TRESO ISR, de même classification que le compartiment.

(Bon t’es gentil mais je m’en fous, moi, de vos histoires de nourrices et de maîtres, je veux juste savoir combien de millions j’ai)

Nous attirons votre attention sur le fait que les derniers ordres sur les fonds absorbés seront exécutés sur la valeur liquidative du 15 novembre 2010 et que les demandes de rachat à prix plancher sur les fonds absorbés non exécutées sur la valeur liquidative du 15 novembre 2011 seront annulées

C'est là que j'ai laissé de côté ma soif vénale de millions compartimentés pour apprécier à sa juste mesure ce chef d’œuvre de poésie financière. Sérieusement, quelqu’un comprend ? Je veux dire, grammaticalement je saisis bien la structure de la phrase, mais elle n’éveille en moi qu’un néant trouble, un peu comme si j’essayais de lire un traité de physique quantique devant un match de foot.

Ça part pourtant d’une bonne intention, ils veulent «attirer mon attention» sur un truc certainement important, puisqu'ils m'envoient un gros courrier et qu'ils m'appellent «Monsieur». Mais pourtant, malgré mes efforts, mon attention n’est pas attirée : elle se débat même vigoureusement pour que je la laisse se focaliser sur une BD, un mail, une mouche qui vole, ou même sur ma vaisselle, mais pitié pas ça.

Et je culpabilise, de ne pas comprendre. Mais après cet instant de culpabilité, une sourde interrogation me traverse (de à ) : à qui s’adresse ce charabia ? Le monsieur qui m’envoie (fort gentiment, et je l’en remercie) ce courrier s’attend-t-il vraiment à ce que je comprenne son jargon de banquier ?

La haute estime dans laquelle je tiens nos amis financiers m’incite bien sûr à penser que tous les efforts ont été fait pour simplifier et clarifier cette communication, et que son but premier est de m’informer, en tant que client respectable et respecté, de tout ce qui pourrait être important pour moi, mon bonheur et l'épaisseur insigne de mon porte-monnaie. Mais malgré tout, je doute. Je doute, et je me demande si cette imbitable prose n’est pas volontairement opaque, comme pour mieux me dire « on gère, ne t’en occupe pas, c’est pas de ton niveau ». Et me dire ça, à moi qui ai un BAC+5 et des copains contrôleurs de gestion, (bon, pas beaucoup, rassurez-vous) , je suppose que ça revient à faire un gros doigt à beaucoup d’autres.

Non que je découvre la proche parenté de la communication financière et de l’ésotérisme, mais c’est la première fois que je me la prends dans la figure.

Du coup, j'ai répondu :

"Monsieur,

C’est toi le prix plancher sur les fonds absorbés non exécutés sur la valeur liquidative de ta sœur. Rends-moi l'argent, maintenant.

Cordialement,

O."

PS : Je reviendrais ultérieurement sur la cohérence dont je fais preuve en ayant recours (via mon employeur) à un fond de pension dont je combats le spectre en manifestant. Là je n'y ai pas encore vraiment réfléchi.

samedi 6 novembre 2010

Quand vous voulez on en discute.



(le sous-titre est assez modérément fidèle à la réalité, mais enfin, c'est Télé-Loisirs)

vendredi 5 novembre 2010

[Livre] lemonde.hier




"Un monde d'hier" paraît pour la première fois en 1944. Deux ans après le suicide de son auteur, dix ans après son exil anglais puis brésilien, loin de l'air autrichien rendu irrespirable par la montée du nazisme. Autobiographie crépusculaire, le livre retrace la carrière et la vie d'un Zweig humaniste, profondément attaché au Vieux Continent, et désespéré par les déchirements des deux guerres mondiales qu'il traverse.

Toujours latent, le Stefan Zweig auteur est plutôt absent de cette chronologie européenne. Si la littérature jalonne sa vie, il ne s'attache jamais à la genèse ou à la description de ses œuvres. Tout au plus mentionne-t-il certaines découvertes qu'il juge importantes (traductions de Rimbaud, Keats, biographie de Dostoievski,...).

Le sujet du livre n'est donc pas l'auteur mais l'homme, l'européen, ses amitiés nationales et internationales, ses admirations, ses combats publics ou privés pour préserver la paix et la culture d'une Europe qu'il ne conçoit qu'unie et préservée des tensions nationalistes. Il tombe mal, jamais le content ne sera aussi violemment secouée par la xénophobie et les conflits fratricides qu'alors.

Zweig ne nous laisse jamais succomber à l'optimisme de ses jeunes années. Dès la préface, il nous informe de ses intentions :retracer, à travers sa modeste expérience d'individu européen du début du siècle, comment nous en sommes arrivés "là", "là" désignant le sommet d'horreur et d'inhumanité atteint par Hitler et ses séides en 1942, date du point final de cette oeuvre et de l'existence de son créateur. Ses moments de joie, ses espoirs et ses enthousiasmes s'accompagnent donc tous d'un goût amer, conscients que sont l'auteur et son lecteur de leur caractère éphémère et vain. Amertume cruelle, car Zweig mène alors une vie généreuse et incroyablement riche en rencontres (Strauss, Rilke, Joyce, Freud, l'homme rencontre et se lie d'amitié avec quasiment tout ce que l'Europe compte de génies à l'aube du vingtième siècle).

Loin de se contenter de la simple contemplation rétrospective de ses amitiés, l'auteur nous communique toute l'universalité qui motive alors le milieu littéraire qu'il fréquente, et s'attache en particulier à décrire ses démarches de rapprochement franco-allemand en pleine première guerre mondiale, sa lutte contre la xénophobie des masses, son dégoût de la propagande guerrière qui jettera l'Europe dans la guerre, puis dans les bras d'Hitler.

La finesse d'analyse de Zweig se retrouve dans la distance qu'il sait prendre avec son époque et ses sursauts politiques. Refusant systématiquement le rôle public qu'on lui offre - il est alors au sommet de sa gloire - il vit l'entre-deux-guerres en observateur avisé, et de plus en plus inquiet, des passions humaines et des manipulations de masse. Voyant ses amis tomber qui dans le nationalisme, qui dans le communisme bolchévique, c'est de plus en plus seul qu'il défend l'idéal d'une Europe unie et digne héritière des Lumières. Et c'est dans une solitude sans rémission qu'il s'exile, à Londres, quand les nazis commencent à brûler ses livres.

"Un monde d'hier" pourrait donc être une lecture indispensable, comme pan de nôtre histoire contemporaine revisitée par une de ses plus grandes plumes. C'en est peut-être une. Mais elle est frustrante, parce qu'on attend de Zweig des analyses et des explications qui ne viennent pas, soit qu'il s'y refuse soit qu'elles lui échappent. On sent sa prudence, puis sa méfiance à l'égard des discours politiques qui structurent puis déchirent l'Europe, et c'est un témoignage d'importance que d'avoir un oeil allemand aussi avisé quand on est français, et incidemment très ignorant de l'histoire de "l'ennemi" d'alors. On peine pourtant à en tirer quelque chose d'universel, perdus que nous sommes dans l'énumération de ces petites et grandes rencontres, de ces petits et grands combats.

Jamais lyrique, jamais grandiloquent, Zweig s'adresse à notre cerveau plutôt qu'à nos tripes, s'avérant plus historien que romancier. Bien sûr, quelques passages offrent des résonances particulières avec notre vie à nous : son constat désabusé du naufrage de la parole littéraire, influente et populaire en 1914, impuissante et inaudible en 1939, la force des mots anesthésiée par 20 ans de propagande brutale, trouve nécessairement écho dans notre époque où plus aucun mot n'a de valeur propre, où tout est com' et publicité. Mais la plupart du temps Zweig ne nous offre qu'une place de témoin, privilégié mais distant, de la marche du monde d'hier, privant ainsi son récit d'une envergure plus large et d'une vision plus ample, plus intemporelle.

On attendait forcément plus du testament d'un aussi grand auteur.

Le monde d'hier, souvenirs d'un Européen (1944) - Stefan Zweig.

[Flim] Wolfman



Faire un film de loups-garous, c'est cool. Les scènes où les mains gonflent, où la gueule s'allonge, où les poils poussent sur les pieds, c'est à la fois exaltant et rigolo, c'est un bon moment de cinéma. Le problème, c'est qu'en général ça dure deux minutes, et qu'on ne peut pas en caser plus de deux ou trois sans risquer la répétition.

2x3 = 6 minutes.

Et le drame du cinéma de nos jours, c'est qu'on se retrouve obligé de faire des films d'une heure et demie, alors qu'on n'a pas envie, nous on a juste envie de montrer des poils qui poussent, des dents qui poussent, et des hommes qui poussent (des hurlements, hého).

Alors on meuble, et comme on n'est pas tellement motivé, on meuble un peu n'importe comment : un scénario sans intérêt, des personnages foireux (Benicio del Toro est aussi crédible en comédien de l'époque victorienne que Dolph Lundgren en pianiste du ghetto de Varsovie - c'est un exemple, à ma connaissance ça n'existe pas), le film ne va nulle part, et on s'en rend trop vite compte pour se faire la moindre illusion passées les vingt premières minutes d'exposition.

Alors on s'ennuie poliment, et les acteurs aussi, et c'est pas grave, ça arrive, et puis maintenant avec les smart-phones, on peut faire autre chose pendant le film, c'est sympa.

Je mets quand même trois étoiles parce que je trouve qu'Anthony Hopkins avec une barbe, il a presque pas besoin de maquillage pour avoir une tête de loup-garou, et puis aussi parce qu'un film gothique sans My Chemical Romance au générique, ça fait du bien. Pour le reste, gardez plutôt vos souvenirs de "Wolf" avec Nicholson, à l'époque on était moins exigeants et puis on avait pas d'iphones.

The Wolfman (2010) - Joe Johnson
Avec B.Del Toro, A.Hopkins,...

jeudi 4 novembre 2010

Là-haut sur la Montaigne



Loin de moi l'idée de prêter de mauvaises intentions au FMI et à ses dirigeants, il s'agit d'une respectable institution qui lutte de par le monde pour l'élévation des profits de l'homme et contre la solidarité l'archaïsme soviétique, et on ferait moins les malins si elle n'était pas là pour rassurer nos riches et nos fonds de pension qui, rappelons-le, portent à bout de bras notre économie et incidemment notre bonheur. Mais quand même, parfois je lis des choses, et je tique.

Par exemple, hier, j'ai lu un article rapportant les conclusions d'une étude de l'Institut Montaigne, célèbre club du patronat chapeauté par Claude Bébéar, grand manitou du CAC40. Cette étude, qui se fixe trois objectifs dont celui de "Réduire les rigidités du système" (à savoir un "droit du travail particulièrement contraignant (...) qui crée des effets de seuil sécurisant pour ceux qui sont du bon côté de la barrière (en CDI ou personnels statutaires de la fonction publique"), préconisait pour lutter contre le chômage - et en particulier celui des jeunes - de supprimer le CDD, et de "flexibiliser" le CDI. Cela afin de réduire cette abominable "sécurité de l'emploi" qui nuit tant à la compétitivité de nos entreprises en regard des multinationales chinoises.
Je vous invite à lire le rapport, ou au moins son résumé, il est très joli.

Jusque là tout va bien, pas de raison de tiquer, je suis à peu près au courant des aspirations du MEDEF (et de ses différents think tanks) vis à vis de nos contrats de travail, et plus généralement de tout ce qui peut contrarier l'écrasante domination de l'entreprise sur son salarié. En revanche, ce matin, je lis (je n'arrête pas) un autre article mentionnant une interview d'Olivier Blanchard, "chef économiste du Fond Monétaire International". Celui-ci y félicite la France pour sa réforme "importante" et "substantielle" des retraites, et à 48h d'une nouvelle manifestation contre cette réforme, il me semble effectivement important de rappeler que les gens sérieux avec des cravates s'en félicitent, et qu'il n'est plus très sérieux d'aller souffler dans des vuvuzuelas sur le Boulevard Voltaire.

Mais surtout, notre chef économiste du monde enchaîne sur la nécessité d'une "réforme de l'emploi des jeunes". La solution ? "Selon lui, le système «dual» actuel avec des contrats à durée indéterminée (CDI) et déterminée (CDD) «ne bénéficie pas aux jeunes» et doit être rendu «plus égal».". Dis-donc, ça ressemble un peu aux propositions de l'Institut Montaigne ça, non ? C'est fou comme les grands esprits se rencontrent : le MEDEF dit qu'il faut réformer le contrat de travail, alors que dans le même temps, le FMI dit qu'il faut réformer le contrat de travail.

Attention, rien ne dit que le FMI souhaite, au même titre que le MEDEF, "plus de flexibilité". Peut-être recommande-t-il à l'inverse une réforme du contrat de travail favorable au salarié, afin de réintroduire un peu d'équilibre dans la relation entre salariés et employeurs.

Ne nous inquiétons pas, nulle doute que s'organisera prochainement un débat responsable et ouvert sur le sujet, au même titre que celui sur l'importante et substantielle réforme des retraites.

Premier sinistre



Alors, vous êtes plutôt Borloo, ou Fillon ? Qu'est ce que vous en pensez, hein, plutôt Fillon ou plutôt Borloo ? Y en a qui disent que ce serait plutôt Borloo, mais d'autres penchent plutôt pour Fillon, vous savez.

Après nous avoir (à raison) répété sur tous les tons combien le premier ministre était ectoplasmique sous Sarkozy, combien les pouvoirs étaient concentrés dans les mains du seul président de la République, de Claude Guéant, ou d'une masse de conseillers plus ou moins occultes, court-circuitant complètement un Matignon fantôche, dépouillé de tout pouvoir décisionnel, tout juste bon à chatouiller la glotte des députés UMP pour les amadouer, bref, après nous avoir convaincu que le rôle de chef du gouvernement avait à peu près autant de substance et d'autonomie que la présidence de la Halde ou de France Télévisions, voilà que nos amis démédias font mine de se passionner pour LA question cruciale de cette fin de quinquennat : qui qui sera premier ministre après le remaniement ?

L'Express, Libé, France Info, , impossible d'échapper à ce questionnement métaphysique : Fillon va-t-il rester ? Borloo va-t-il le remplacer ? Quelle couleur de pull va le mieux avec ma cravate de Président de la République ?

Non content d'envahir progressivement la presse, cette interrogation vampirise progressivement tout l'espace public. Jean-Michel Apathie sur RTL, mais probablement beaucoup d'autres, ne peuvent inviter qui que ce soit sans lui demander qui son avis, qui son pronostic sur le choix de Nicolas Sarkozy. Tu veux parler des retraites ? De la réforme à venir de la sécurité sociale ? Des barbouzeries qui visent les journalistes qui se penchent sur l'affaire Woerth/Bettencourt ? Ben t'attendras, il y a des choses plus urgentes.

Rien ne m'agace plus (à part les relances de Sylvain Armand) que cette focalisation des médias, et en particulier des "intervieweurs stars" plus ou moins autoproclamés, sur la tambouille politicienne aux dépends des vrais sujets politiques. Parce que, écrivons le en gros pour ne laisser personne passer à côté :

FILLON OU BORLOO, ON S'EN FOUT !

La politique gouvernementale s'impulse et se dirige à l'Elysée, le premier ministre est au mieux un hochet politique, au pire une serpillère, mais il ne dispose d'aucun pouvoir politique dans l'état actuel des choses. Maintenir l'un ou nommer l'autre est un choix cosmétique, peut-être tactique pour passer un message à tout ou partie de son électorat, mais il ne s'agit en aucun cas d'un sujet d'importance.

Si nous le savons, comment les gens dont l'analyse politique est le métier pourraient en être dupes ? Sont-ils de bonne foi, intimement persuadés que ce qui agite leur microcosme est d'une importance nationale ? Ou sont-ils sciemment complices de ce nouvel écran de fumée devant les choses qui fâchent ?

Soyons sympathiques avec les laquais, et accordons leur le bénéfice du doute.

Fais du buzz avec les octopodes




Dans la vie, il y a des choses graves, importantes, dont l'appréhension n'est pas immédiate et s'avère parfois douloureuse et complexe, mais qui contribuent à nous construire, à nous déterminer, à nous élever.

Et puis il y a Fadela Amara.

Fadela Amara, qu'il eut été dommage de méconnaitre, et pour ça il nous faut remercier Nicolas Sarkozy dont le sens du casting jamais ne se dément, est depuis maintenant 3 longues années la caution "banlieue" de notre cher gouvernement.

Bien incapable d'exister politiquement tant son secrétariat d'Etat à la ville ressemble à un emploi fictif (et son "plan banlieue" à Duke Nukem Forever avant qu'il ne renaisse de ses cendres), Fadela garde cependant une certaine visibilité grâce à son langage fleuri ("je kiffe", "j'me la raconte pas", "j'le dis cash", t'as compris qu'elle vient de la téci ou bien ?), au naturel travaillé, et qui amuse beaucoup dans les grands médias, d'autant qu'il a le bon goût d'enrober un discours aussi creux qu'un Casimir pendu au mur.

Et donc Fadela est régulièrement de sortie sur les plateaux télé, histoire d'aller ne rien dire mais façon "wesh wesh", illustrant par là-même la formidable ouverture sarkozyste qui agrège sans parti-pris ni idéologie tous les talents de France, formant un espèce d'orchestre du pipeau aussi cosmopolite qu'indéniablement compétent. Elle était à ce titre invitée de l'émission "Mots Croisés" d'Yves Calvi pour débattre avec un panel varié (Elisabeth Levy, qui trouve que la France s'islamise et que ça fait peur; Ivan Rioufol, qui trouve que la France s'islamise et que ça fait flipper, et sûrement d'autres gens persuadés que l'Islam menace la République) de ce qu'est "Etre Français". L'occasion de dire plein de choses, dont ça :




Retranscription :
"Il faut aussi qu'on se dise qu'on est content et fier de notre histoire parce qu'elle permet de nous, elle permet de faire briller les valeurs universalistes il se trouve que c'est chez nous mais elles doivent être partagés par tout le monde mais surtout que la littérature ou tout ce qui fait la grandeur de la France il faut quand même qu'on se dise que c'est BIEN et qu'on arrête de se, de se taper la poulpe si je puis me permettre en disant systématiquement que..." *brouahah*


Outre qu'elle réussit l'exploit de ne rien dire du tout, et mal, dans cette tirade, je me suis permis d'attirer votre attention sur l'expression employée par Fadela : "se taper la poulpe". Pour "battre sa coulpe".

"Se taper la poulpe". Je crois que de honte je n'oserais plus jamais prendre la parole en public, à sa place. Ca m'amuserait presque si ce n'était pas consternant.