C'est un constat qui date un peu, mais noyé dans l'ennui grisâtre de ces jours sans manifestation, il me semble opportun de le partager avec
vous...
toi... de le partager, puisque rien n'est plus noble à l'homme de bien que le partage de son savoir
et de ses richesses(nan mais t'es fou ou bien t'es de gauche ?) :
la rhétorique n'est plus à la mode en politique.
Sans m'égarer jusqu'aux glissants abords de la nostalgie, il me semble que les politiciens (de tout bord) d'autrefois savaient rivaliser d'éloquence pour défendre leurs convictions, leurs choix, parfois leurs prébendes, et plus généralement pour esquiver les questions qui les emmerdaient. Aujourd'hui, et sous réserve bien sûr que la mauvaise foi partisane ne m'aveugle et ne masque à mes yeux boursouflés de haine la grâce de leurs propos, j'ai bien du mal à ressentir ne serait-ce qu'un frisson d'intérêt pour la prose débilitante de nos élus et maîtres.
Afin d'appuyer mon propos d'un exemple solide et rigoureux, nous allons nous pencher sur notre très cher ministre des hippodromes, donneur de Légions de son état, crème de la crème de Chantilly, j'ai nommé Eric Woerth.
On le sait, Eric Woerth est depuis de longs mois l'objet d'une inique campagne de dénigrement, une "
lapidation" selon ses propres mots, poursuivi par les "
collabos" "
comme aux jours les plus sombres de notre histoire". Autant vous dire que ce n'est pas facile tous les jours, et encore je vous raconte pas l'ambiance à la maison avec bobonne qui a du démissionner et qui s'occupe en parfumant des cadavres avec Chanel N5. "
Ça me rappelle Liliane Bettencourt", qu'elle dit. Bref, Eric n'est pas très bien. Déjà que quand il sourit on l'appelle Droopy, là on a presque envie de lui tirer une balle dans l'oeil pour mettre un terme à ses souffrances. Mais je m'égare, l'occasion d'aborder la "médicalisation de la fin de vie" n'est pas venue.
Eric, donc, était interrogé il y a deux mois environ sur ce qui n'était encore que les prémices de l'affaire Woerth/Bettencour, et à un journaliste qui lui demandait s'il n'y avait pas conflit d'intérêt entre Woerth Eric, ministre du budget, et Woerth Florence, gestionnaire de fortune d'une Liliane Bettencourt soupçonnée d'avoir planqué une partie de son magot de l'autre côté des Alpes, Eric ne douta pas et répondit comme ça, cash, à l'importun :
"Est-ce que j'ai une tête à couvrir une fraude fiscale ?"Hein ? Et puis t'es moche ! Et puis je fais ce que je veux, et t'es même pas cap de m'empêcher, et c'est de la triche. Pouce.
Attention, Eric n'est pas le seul à recourir à l'argument-massue, certains de ses collègues lui emboitèrent le pas avec entrain :
- ainsi Besson Eric, ministre des diversions nauséabondes, soupçonné d'avoir utilisé les fonds de son ministère pour payer son voyage de noce, recadrant immédiatement l'imbécile accusateur :
"
Est-ce que sur mon front il est vraiment marqué que je suis, un, malhonnête et deux, complètement idiot ? Je ne suis ni malhonnête, ni idiot"
- ainsi Lancar Benjamin, chef scout lipdubineux, interrogé par Arrêt sur Image sur sa conception chelou de la gauchosphère, de rétorquer ombrageusement :
"
Est ce que j'ai l'air de vouloir empêcher les gens de parler ?"
Bref, ce n'est pas un cas isolé, mais Eric rimant avec "sympathique", revenons plutôt à notre canasson.
"
Est-ce que j'ai une tête à couvrir de la fraude fiscale", c'est une très bonne question, Eric. Qui demanderait certainement de s'interroger sur ce qu'est une "
tête à couvrir de la fraude fiscale", et de se plonger dans de longues analyses phrénologiques pour déterminer si ce sont plutôt les fronts fuyants ou les mâchoires carrés qui baisent le fisc avec le plus d'agilité. Mais est-ce une défense bien sérieuse ? Est-ce que ce ne serait pas un peu la honte, d'aller à la télévision bien habillé, le front soucieux mais le sourire paisible, et de sortir un argument d'école primaire ?
Je sais bien que notre aimable président, dont l'éloquence est un harmonieux mélange de Jean-Marie Bigard et d'un mongolien imitant Chuck Norris, creuse un peu plus à chaque intervention l'insondable gouffre de la vulgarité et de l'indigence oratoire, mais on ne nous avait pas prévenu que c'était contagieux. Si c'est le cas, on a enfin trouvé une occasion de réutiliser les masques que Roselyne a stocké pour la grippe A, dis donc !
Mais mon hypothèse est autre. Je me dis plutôt qu'à force d'ingurgiter de l'élément de langage pour chaque sujet, chaque déclaration, avant chaque passage médiatique et au moindre fait divers, tes confrères et toi vous étiolez comme
une rose un lys trop arrosé, pourrissant doucement dans une nuée de moucherons. Le perroquet n'étant pas réputé pour le volume de son encéphale, il n'est pas impossible que votre cerveau si peu sollicité se mette à ramollir, à péricliter, vos synapses bientôt moins nombreuses que vos amis millionnaires, et qu'aucune pensée réellement structurée ne puisse plus émerger seule de votre soupe occipitale.
Ce n'est bien évidemment pas ma volonté de t'inquiéter, mon Eric, je sais que tu as d'autres soucis, mais il me semble même avoir détecté chez toi quelques signes de dégénérescence mentale, en premier lieu le radotage. Ce souci de proximité d'avec vos principaux électeurs est bien sûr louable, mais prends garde, ça commence à se voir.
Regarde
tes dernières déclarations par exemple :
(certes captées au vol dans ce Sénat si plein de gâteux en tous genres)
1 : (mon état d'esprit est) "
très déterminé, dans un état d’esprit de mener à bien cette reforme, en étant attentif à ce qui se dit mais en étant aussi très ferme et très déterminé sur la réforme"
Résumons : tu es très déterminé, mais en étant aussi très déterminé.
2 : "
Ceux qui appellent à la mobilisation des jeunes sont totalement irresponsables. Quand je vois le Parti socialiste, les Verts ou le NPA appeler à la mobilisation des jeunes, c’est d’une irresponsabilité totale."
Résumons à nouveau : ceux qui sont totalement irresponsables sont d'une irresponsabilité totale.
Bel hommage à Captain Obvious, assurément, mais tu avoueras que ce n'est pas très rassurant.
Pire, il nous semble que tu perds toute capacité à dialoguer (c'est à dire à faire le lien entre ce que ton interlocuteur te dit et ce que toi tu dis) : quand tu dis que mettre les jeunes dans la rue est irresponsable (un élément de langage, suppose-t-on, puisque 50 de tes collègues le serinent depuis hier dans tous les micros qui passent), et que le journaliste te répond que les jeunes sont pourtant concernés, tu réponds :" raison de plus pour réformer les retraites", avant d'asséner l'habituelle série de questions oratoires ("Vous voudriez que les jeunes il faille les vendre pour combler le déficit c'est ça ? Vous voudriez que je sois un nazi avec une petite moustache ? Vous voudriez que j'ai une tête à couvrir la fraude fiscale ?") qui sert de ponctuation à chaque hiérarque UMP depuis l'avènement du sarkozysme.
Formalisons ça s'il te plait, sous la forme d'un joli syllogisme :
1 Mettre les jeunes dans la rue est irresponsable (sous-entendu : ils n'ont rien à voir là dedans)
2 Or les jeunes sont concernés
3 Donc il faut réformer les retraites (-> mettre les jeunes dans la rue, comme tu as pu le constater)
Vois-tu, mon ami, la modeste faille logique dans ce raisonnement plus boiteux qu'un ouvrier après les heures de sodomie que lui infligera ta réforme en carton ?
Au début, je pensais que oui. Que c'était sciemment que tu usais du sophisme comme on use du "c'est clair", pour mettre un terme immédiat à une discussion sans intérêt. Que tu mentais sciemment, et que tu comptais sur notre inattention et notre ingénuité pour gober tes contre-sens. Et que l'impunité offerte à ta caste par de serviles journalistes te grisait tant que tu osais chaque jour un peu moins tortueux, un peu plus brut dans le mensonge.
Maintenant, je doute. C'est si fréquent, si régulier, pour tout dire si systématique pour tes amis et toi, que j'en viens à envisager quelque déformation pathologique.
Alors à mon tour d'être responsable, raisonnable et pragmatique, et de vous enjoindre au calme et au repos : quittez donc cette vie usante et aliénante qu'est la politique, allez donc vous réfugier dans une belle villa gracieusement prêtée par un ami fortuné, enfilez des blouses et coiffez-vous d'entonnoirs colorés, faites une ronde et psalmodiez en choeur, loin du monde réel qui vous oppresse et diffère tant du votre, cet entêtant refrain :
"La réforme cébien, la réforme ilfolafèr, si je mens j'vais en enfer"
Et allez au diable.