jeudi 24 décembre 2009

[SANTACLAF] Rémunérons et agrippa

Attention, article de droite.

Ce matin, c'est la voix, douce et frémissante d'exaltation, d'Henri Guaino qui m'a tiré par la manche du sommeil et du lit. Après avoir répondu à un auditeur sur son adéquation idéologique avec les principes du Conseil National de la Résistance (mise en doute par l'auditeur, revendiquée par Guaino), le scribe sarkozyste expliquait qu'ils (Sarko et lui) avaient fait du bien à la France en remettant le mérite et la valeur du travail au goût du jour. Ca m'a donné envie d'en remettre une couche sur "le mérite" tel que défini par nos amis de l'UMP, et je m'apprêtais à me lancer dans une tribune énervée sur la vilaine manipulation qui entoure ce terme quand, soudain, hop, éclair d'intelligence.

Je laisse un peu plâner le suspense sur la nature dudit éclair, ils sont si rares que tu me pardonneras lecteur d'en profiter un peu, mais la probité m'oblige à signaler que la lecture d'un article de Gauche Libérale (j'y reviendrai non, en fait) n'y est pas étrangère. Intitulé "La Justice Sociale", ce dernier s'opposait au terme employé par les partis de gauche, en expliquant qu'user du mot "justice" impliquait qu'il y ait crime préalable. Ils en venaient à la conclusion que la revendication d'une justice sociale revenait à criminaliser tout profit, ce qui est mal. Je ne suis pas d'accord avec ce sophisme, mais la proposition initiale a le mérite de poser une bonne question : qu'est-il juste de gagner ? Sur quelles bases et pourquoi doit ou peut-on percevoir de l'argent, et de qui ?

Plutôt que de m'embarquer dans une diatribe anti-mérite, j'ai donc décidé de réfléchir et de te soumettre, lecteur, ma conception de la"Justice Sociale", ou plus exactement, de poser cette question : Que doit-on rémunérer ? Et pourquoi ?

(dans les paragraphes ci-dessous, je choisis de considérer qu'en toutes circonstances c'est "la société" qui allonge la maille, celle-ci ayant le bon goût de regrouper l'Etat, le particulier et l'entreprise privée en un seul et même gros bordel)

D'aucuns diront le travail, et je reconnais hardis lecteurs que ça roule de bon sens. Mais une telle affirmation demande de définir le travail, et si vous voulez vous embarquer dans l'article le plus long de l'histoire de la blogosphère, c'est une excellente direction. N'ayant pas le courage de vous y suivre, je vous propose de contourner l'obstacle de la définition en substituant au pénible "travail" le plus simple "effort", au sens de "l'action énergique d'une force physique ou intellectuelle". Premier écueil néanmoins : on perçoit facilement que tout effort défini ainsi n'est et ne peut être financé. Je respire ? Je me gratte ? Je mâche négligemment le bout de mon stylo ? Voilà des efforts que le pire des socialistes ne voudrait voir rémunérer.

Il nous faut donc catégoriser les efforts pour distinguer ceux qui méritent, et ceux qui ne méritent pas. On met ici le doigt sur le vaste problème de nos amis sarkozystes, qui nous servent le mérite républicain à toutes les sauces et toutes les occasions : jamais ils ne s'attachent à expliquer ce qu'il recouvre. Nous y reviendrons, mais pour l'instant cherchons ce qui peut discriminer l'effort rémunérable de l'effort osef. Je propose, puisque c'est la société qui paie, que ne soit payé que l'effort qui lui est utile. Ce qui reviendrait à dire : la société rémunère tout effort qui lui est utile.

Qu'est ce qui est utile à la société ? Vous faîtes un peu chier à tout compliquer. Ce qui est utile à la société, c'est ce qui l'élève de manière globale ou infinitésimale. Le premier qui me demande de définir "l'élévation de la société" est invité à retourner pontifier dans ces bouquins du rayon sciences humaines de la FNAC où il n'y a jamais d'images.

Bien. Donc il est légitime de rémunérer tout effort qui permet l'élévation de la société. Nonobstant les raccourcis philosophiques et les biais idéologiques, il me semble que cette définition pourrait être partagée par tous. Si tel n'était pas le cas, ce serait quand même pas de bol d'avoir comme unique lecteur un schizophrène.

Dotés d'une définition générique et consensuelle, reste alors à parler proportions. J'étonnerai certainement les plus imbéciles de mes lecteurs (coucou le schizo), mais bien que gauchiste revendiqué, je ne milite pas pour l'instauration d'une égale rémunération pour tous. Je trouve légitime et souhaitable que le salaire d'un individu soit proportionnel aux efforts fournis et à leur utilité sociale.

Nous nous trouvons ainsi sur une grille à deux axes : l'effort (qui regroupe comme dit plus haut l'effort intellectuel, l'effort physique, mais aussi la prise de risque) et l'utilité sociale.

Nous pouvons nous amuser à situer sur un ce référentiel différents individus : de l'entrepreneur à l'actionnaire (chers à nos dirigeants), ou du prof d'histoire géo au chômeur longue durée (nettement moins chers à nos dirigeants).
(voir fin de l'article)

Trois remarques :

D'abord, les évaluations respectives de l'effort fourni par chacun et de l'utilité sociale de chacun sont bien évidemment soumises à de nombreux biais idéologiques. Certains souhaiteront identifier l'utilité sociale à la performance économique, d'autres (souvent les mêmes) pondéreront fortement la prise de risque dans l'effort fourni. Encore faut-il assumer et justifier ces choix pour le moins discutables.

Ensuite, se présente le cas, en supposant qu'il existe, des individus situés à l'origine du repère (effort nul, utilité sociale nulle). Je crois pour ma part impossible un tel cas de figure (même le plus marginalisé des SDF est utile socialement, ne serait-ce qu'auprès de ses congénères) mais il n'est pas incohérent dans un référentiel comme celui décrit dans le paragraphe d'au-dessus. Considérer alors que leur rémunération doit être nulle me semble moralement discutable. Il existe donc une rémunération minimale, perçue par tous, à laquelle s'additionne la rémunération des efforts et de l'utilité sociale sus-évoqués : c'est le minimum social.

Enfin, et cela demanderait au moins autant de temps pour le développer, la rémunération ne prend pas nécessairement la forme sonnante et trébuchante de l'argent. La reconnaissance sociale (le "statut"), le capital culturel, etc...sont autant de rémunérations difficiles à évaluer mais qu'il est indispensable de prendre en compte pour mesurer les rémunérations respectives des uns et des autres.

Car, et ce sera ma conclusion, si chacun perçoit une rémunération à la hauteur de son effort social, il est important pour maintenir la cohésion et la "justice" (on y revient) de l'ensemble que les écarts de rémunération entre individus restent maintenus dans des proportions humainement concevables. Parce personne n'est infiniment plus utile à la société que son prochain, et parce que finalement cette (modeste) analyse reste purement comptable, c'est à dire bien loin de l'essentiel.

Car, et ce sera ma conclusion (cette fois c'est la bonne, promis), c'est finalement assez laborieux de réfléchir sérieusement à d'aussi vastes problèmes, et mieux vaut finir par une pirouette que par un point final.

Bonus : mon référentiel.


(quelle provoc' ?)

1 commentaire:

  1. Initiative intéressante (et avec des graphes, ce qui séduit fatalement mon appétit cartésien). Le fait de considérer la société comme un tout rémunérateur est un raccourci saisissant mais éclairant pour la suite du propos !

    J'ajouterai que l'utilité sociale n'est pas seulement matière d'élévation mais aussi et surtout de bon fonctionnement de la société.

    Et, autre élément, il faudrait considérer l'utilité sociale comme potentiellement négative quand elle se fait destructrice. L'utilité sociale constatée d'une activité serait alors la somme des apports et des retraits faits au bon fonctionnement de la société.

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Regarde-toi dans une glace et fais comme elle : réfléchis.