jeudi 18 février 2010

[Humeur] Bazar de l'Hotel des Livres

Ces dernières semaines tu n'as pu, lecteur, échapper à la tornade Bernard-Henry Levy, dont la sortie du nouveau livre (un "manuel pour âges obscurs, où l'auteur "abat son jeu" et dispose, chemin faisant, les pierres d'angle d'une métaphysique à venir", paraitrait-il), s'accompagne d'une omniprésence médiatique toute compréhensible : il faut bien faire un peu de promo aux auteurs méconnus. Les médias amis (je ne t'en fais pas toute la liste sinon tu vas décrocher) ont donc joué le jeu avec leur coutumière courtoisie, offrant au Philosophe une tribune à la mesure de ses pensées nouvelles. Cette belle mécanique promotionnelle cliquetait de bonheur discret lorsque, soudain, le grain de sable : une journaliste du Nouvel Observateur mettait le doigt sur une petite fantaisie de l'Auteur. Celui-ci, démontant sauvagement son homologue (intellectuel, parce que niveau coiffure la superiorité de BHL est indiscutable) Emmanuel Kant, s'appuie en effet sur les travaux d'un philosophe méconnu, Jean-Baptiste Botul, qui aurait assené "au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans sa série de conférences aux néokantiens du Paraguay, que leur héros était un faux abstrait, un pur esprit de pure apparence ". Seulement voilà : Botul n'existe pas, c'est une invention d'un journaliste du Canard Enchainé, Frederic Pages, et le livre où figure cette histoire de conférence paraguayenne "la vie sexuelle d'Emmanuel Kant" est aussi crédible que le guide touristique de la Molvanie.

La campagne promotionnelle prend alors un tour moins funky pour BHL, puisque tout le monde se fout de sa gueule. Il faut comprendre : s'attaquer à Kant, dont il est à l'échelle philosophique ce que serait un pou sur une baleine, demandait une certaine rigueur, rigueur toute compromise par l'usage, très sérieux, d'un philosophe fantaisiste dont les propos sont à peu près aussi raisonnables que les théories de Jean-Marie Bigard sur le 11 septembre (respect, Jean-Marie).

Comprenons-nous bien, ce n'est pas un épisode dramatique : ça arrive à tout le monde d'aller chercher des citations sur Google pour impressionner son lectorat, même si en général on s'arrange pour vérifier que le contexte de la citation colle avec ce qu'on veut dire. Le faire dans le cadre d'un "manuel pour âges obscurs, où l'auteur "abat son jeu" et dispose, chemin faisant, les pierres d'angle d'une métaphysique à venir", c'est un cran plus loin dans le ridicule, mais ça reste un micro-évènement. Cette histoire ne justifiait donc a priori aucun déferlement de lolisme tel que constaté.

Seulement voilà, BHL dispose, pour des raisons qui relèvent plus de l'amitié et de l'obligeance que du talent véritable, d'un espace incommensurable dans les médias, et si cette gigantesque caisse de résonance lui sert d'habitude à vendre au kilo ses bouquins creux et sa pensée sans grâce, elle se retourne pour une fois contre lui, ce qui n'est pas pour déplaire à tous ceux qui le subissent depuis de longues, longues années.

On aurait pu en rester au stade, gouteux, de l'arroseur arrosé, et les premières réactions de l'auteur ("je me suis bien fait avoir", "bravo au créateur de Botul" allaient - et c'est tout à son honneur - en ce sens. Seulement voilà : le néophilosophe a des amis. Certains l'auront défendu par un soutien qu'on peut juger naïf et pompeux, mais relativement sobre. D'autres en revanche, sortent l'artillerie lourde du complot et des "heures noires de notre histoire".

C'est le cas de Philippe Boggio, qui m'était absolument inconnu jusqu'à ce matin, et qui s'avère être l'auteur d'une biographie dont la présentation laisse à penser qu'elle n'est pas à charge ("Philippe Boggio a voulu comprendre. De l'intérieur. Depuis l'enfance, qui n'est pas simple. Il a découvert un être étrange, plein de doutes et d'ambivalences, excessif en tout, et que rien ne guérit de ses folles angoisses. Un homme bizarrement fidèle et généreux. Un chercheur d'absolu dont le cynisme n'est peutêtre qu'un masque, le narcissisme un pis-aller, l'esthétisme un acte de désespoir."). Ce dernier a commis hier une tribune sur Slate.fr qui justifie aujourd'hui cet article sur un sujet que j'aurais, autrement, laissé mourir dans les indifférentes poubelles de l'Histoire.

Que dit monsieur Boggio ?

Il dit d'abord que ce n'est pas normal que les attaques sur BHL portent sur la forme (sa luxueuse demeure marocaine, sa chemise ouverte, son omniprésence médiatique) et pas le fond. Concluant par cette péremptoire assertion : "La littérature est une guerre, il l'a assez dit. Personne ne lit personne. Tout est donc affaire de commerce littéraire". Je doute de partager la même vision de la littérature ou de la philosophie que ce triste sire.

Il s'indigne ensuite qu'on reproche encore à BHL ses erreurs passées (qu'il cite : "la polémique sur Daniel Pearl. (...) l'entrée de BHL dans Sarajevo assiégée, et le nombre d'heures qu'il a «réellement» passées sur place. (...) la «véritable date à laquelle il a rencontré le commandant Massoud», au tout début des années 1980"), lui plus qu'aucun autre. Nouvelle assertion péremptoire, ponctuée cette fois d'un premier dérapage : "(...) comme la vie, la littérature doit connaître l'oubli, voire le pardon. Sinon, l'atmosphère est étouffante. Et directement fascisante.". Il me semblait bêtement que l'écriture avait cet avantage d'offrir, contrairement à la parole, une certaine durée à son objet. Erreur : lire des livres, et en retenir les failles, c'est fasciste. Tu aimes mon livre, ou alors tu fermes ta gueule, facho.

C'est ici, et tardivement, que s'infléchit le discours de cet "ami". Il s'appesantit sur la richesse de BHL, qui serait (évidemment) l'unique raison de son discrédit récent (affaire Botul) ou plus ancien (Bourdieu, Deleuze...). J'ai toujours eu beaucoup d'admiration pour les gens capables de pointer la déconsidération dont souffrirait BHL alors même qu'il entretient de longues et fructueuses amitiés avec tout ce que le pays compte d'éditorialistes en cour et de puissants, politiques, économiques, ou médiatiques.

Mais c'est dans le dernier paragraphe, que je retranscris ici, que s'abandonne Boggio à cet exercice misérable, méprisable, répugnant, qui consiste à discréditer tout adversaire en lui apposant le sceau de l'infamie.

"Ces deux livres-ci, le petit et le gros, et la manière véhémente qui les salue sont, il faut le savoir, la dernière étape avant l'ignominie. Compte tenu de l'état de la société, de ses besoins de lynchage, de sa passion pour les oukases médiatiques, la prochaine fois, au prochain livre, internautes, lecteurs ou critiques, quelques-uns ne se retiendront plus. Bernard-Henri Lévy, ce juif..."

Jusqu'alors personne, PERSONNE, n'avait mentionné ne serait-ce qu'au détour d'une phrase perdue dans un torrent de réactions, et à raison puisque ce détail n'a absolument rien à voir avec l'affaire qui nous occupe, la qualité de "juif" de BHL. Mais il faut qu'un de ses fâcheux "amis" le dégaine. Si BHL est critiqué, c'est parce qu'il est juif. S'il est victime d'un "lynchage" (c'est ça), d'une "oukase médiatique" (évidemment), ce n'est pas parce qu'il écrit n'importe quoi dans ses livres et qu'il le présente comme une oeuvre majeure de la philosophie mondiale. Non, c'est parce qu'il est juif, bande d'antisémites.

Philippe Boggio, c'est toi l'antisémite. C'est toi qui use du"juif", juste après le "riche", pour donner à ta démonstration le lustre qu'elle n'a pas. Ce sont des gens comme toi qui perpétuent, sous couvert de le dénoncer, les amalgames nauséabonds qu'on voudrait voir disparaitre.

Philippe Boggio, ta gueule.

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