Je voudrais parler des retraites, et de l'admirable opération d'enfumage politique et médiatique en cours.
Mais avant tout tu vas lire ça.
Et après tu le relis, pour que ça rentre.
jeudi 18 février 2010
[Humeur] Bazar de l'Hotel des Livres
Ces dernières semaines tu n'as pu, lecteur, échapper à la tornade Bernard-Henry Levy, dont la sortie du nouveau livre (un "manuel pour âges obscurs, où l'auteur "abat son jeu" et dispose, chemin faisant, les pierres d'angle d'une métaphysique à venir", paraitrait-il), s'accompagne d'une omniprésence médiatique toute compréhensible : il faut bien faire un peu de promo aux auteurs méconnus. Les médias amis (je ne t'en fais pas toute la liste sinon tu vas décrocher) ont donc joué le jeu avec leur coutumière courtoisie, offrant au Philosophe une tribune à la mesure de ses pensées nouvelles. Cette belle mécanique promotionnelle cliquetait de bonheur discret lorsque, soudain, le grain de sable : une journaliste du Nouvel Observateur mettait le doigt sur une petite fantaisie de l'Auteur. Celui-ci, démontant sauvagement son homologue (intellectuel, parce que niveau coiffure la superiorité de BHL est indiscutable) Emmanuel Kant, s'appuie en effet sur les travaux d'un philosophe méconnu, Jean-Baptiste Botul, qui aurait assené "au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans sa série de conférences aux néokantiens du Paraguay, que leur héros était un faux abstrait, un pur esprit de pure apparence ". Seulement voilà : Botul n'existe pas, c'est une invention d'un journaliste du Canard Enchainé, Frederic Pages, et le livre où figure cette histoire de conférence paraguayenne "la vie sexuelle d'Emmanuel Kant" est aussi crédible que le guide touristique de la Molvanie.
La campagne promotionnelle prend alors un tour moins funky pour BHL, puisque tout le monde se fout de sa gueule. Il faut comprendre : s'attaquer à Kant, dont il est à l'échelle philosophique ce que serait un pou sur une baleine, demandait une certaine rigueur, rigueur toute compromise par l'usage, très sérieux, d'un philosophe fantaisiste dont les propos sont à peu près aussi raisonnables que les théories de Jean-Marie Bigard sur le 11 septembre (respect, Jean-Marie).
Comprenons-nous bien, ce n'est pas un épisode dramatique : ça arrive à tout le monde d'aller chercher des citations sur Google pour impressionner son lectorat, même si en général on s'arrange pour vérifier que le contexte de la citation colle avec ce qu'on veut dire. Le faire dans le cadre d'un "manuel pour âges obscurs, où l'auteur "abat son jeu" et dispose, chemin faisant, les pierres d'angle d'une métaphysique à venir", c'est un cran plus loin dans le ridicule, mais ça reste un micro-évènement. Cette histoire ne justifiait donc a priori aucun déferlement de lolisme tel que constaté.
Seulement voilà, BHL dispose, pour des raisons qui relèvent plus de l'amitié et de l'obligeance que du talent véritable, d'un espace incommensurable dans les médias, et si cette gigantesque caisse de résonance lui sert d'habitude à vendre au kilo ses bouquins creux et sa pensée sans grâce, elle se retourne pour une fois contre lui, ce qui n'est pas pour déplaire à tous ceux qui le subissent depuis de longues, longues années.
On aurait pu en rester au stade, gouteux, de l'arroseur arrosé, et les premières réactions de l'auteur ("je me suis bien fait avoir", "bravo au créateur de Botul" allaient - et c'est tout à son honneur - en ce sens. Seulement voilà : le néophilosophe a des amis. Certains l'auront défendu par un soutien qu'on peut juger naïf et pompeux, mais relativement sobre. D'autres en revanche, sortent l'artillerie lourde du complot et des "heures noires de notre histoire".
C'est le cas de Philippe Boggio, qui m'était absolument inconnu jusqu'à ce matin, et qui s'avère être l'auteur d'une biographie dont la présentation laisse à penser qu'elle n'est pas à charge ("Philippe Boggio a voulu comprendre. De l'intérieur. Depuis l'enfance, qui n'est pas simple. Il a découvert un être étrange, plein de doutes et d'ambivalences, excessif en tout, et que rien ne guérit de ses folles angoisses. Un homme bizarrement fidèle et généreux. Un chercheur d'absolu dont le cynisme n'est peutêtre qu'un masque, le narcissisme un pis-aller, l'esthétisme un acte de désespoir."). Ce dernier a commis hier une tribune sur Slate.fr qui justifie aujourd'hui cet article sur un sujet que j'aurais, autrement, laissé mourir dans les indifférentes poubelles de l'Histoire.
Que dit monsieur Boggio ?
Il dit d'abord que ce n'est pas normal que les attaques sur BHL portent sur la forme (sa luxueuse demeure marocaine, sa chemise ouverte, son omniprésence médiatique) et pas le fond. Concluant par cette péremptoire assertion : "La littérature est une guerre, il l'a assez dit. Personne ne lit personne. Tout est donc affaire de commerce littéraire". Je doute de partager la même vision de la littérature ou de la philosophie que ce triste sire.
Il s'indigne ensuite qu'on reproche encore à BHL ses erreurs passées (qu'il cite : "la polémique sur Daniel Pearl. (...) l'entrée de BHL dans Sarajevo assiégée, et le nombre d'heures qu'il a «réellement» passées sur place. (...) la «véritable date à laquelle il a rencontré le commandant Massoud», au tout début des années 1980"), lui plus qu'aucun autre. Nouvelle assertion péremptoire, ponctuée cette fois d'un premier dérapage : "(...) comme la vie, la littérature doit connaître l'oubli, voire le pardon. Sinon, l'atmosphère est étouffante. Et directement fascisante.". Il me semblait bêtement que l'écriture avait cet avantage d'offrir, contrairement à la parole, une certaine durée à son objet. Erreur : lire des livres, et en retenir les failles, c'est fasciste. Tu aimes mon livre, ou alors tu fermes ta gueule, facho.
C'est ici, et tardivement, que s'infléchit le discours de cet "ami". Il s'appesantit sur la richesse de BHL, qui serait (évidemment) l'unique raison de son discrédit récent (affaire Botul) ou plus ancien (Bourdieu, Deleuze...). J'ai toujours eu beaucoup d'admiration pour les gens capables de pointer la déconsidération dont souffrirait BHL alors même qu'il entretient de longues et fructueuses amitiés avec tout ce que le pays compte d'éditorialistes en cour et de puissants, politiques, économiques, ou médiatiques.
Mais c'est dans le dernier paragraphe, que je retranscris ici, que s'abandonne Boggio à cet exercice misérable, méprisable, répugnant, qui consiste à discréditer tout adversaire en lui apposant le sceau de l'infamie.
"Ces deux livres-ci, le petit et le gros, et la manière véhémente qui les salue sont, il faut le savoir, la dernière étape avant l'ignominie. Compte tenu de l'état de la société, de ses besoins de lynchage, de sa passion pour les oukases médiatiques, la prochaine fois, au prochain livre, internautes, lecteurs ou critiques, quelques-uns ne se retiendront plus. Bernard-Henri Lévy, ce juif..."
Jusqu'alors personne, PERSONNE, n'avait mentionné ne serait-ce qu'au détour d'une phrase perdue dans un torrent de réactions, et à raison puisque ce détail n'a absolument rien à voir avec l'affaire qui nous occupe, la qualité de "juif" de BHL. Mais il faut qu'un de ses fâcheux "amis" le dégaine. Si BHL est critiqué, c'est parce qu'il est juif. S'il est victime d'un "lynchage" (c'est ça), d'une "oukase médiatique" (évidemment), ce n'est pas parce qu'il écrit n'importe quoi dans ses livres et qu'il le présente comme une oeuvre majeure de la philosophie mondiale. Non, c'est parce qu'il est juif, bande d'antisémites.
Philippe Boggio, c'est toi l'antisémite. C'est toi qui use du"juif", juste après le "riche", pour donner à ta démonstration le lustre qu'elle n'a pas. Ce sont des gens comme toi qui perpétuent, sous couvert de le dénoncer, les amalgames nauséabonds qu'on voudrait voir disparaitre.
Philippe Boggio, ta gueule.
La campagne promotionnelle prend alors un tour moins funky pour BHL, puisque tout le monde se fout de sa gueule. Il faut comprendre : s'attaquer à Kant, dont il est à l'échelle philosophique ce que serait un pou sur une baleine, demandait une certaine rigueur, rigueur toute compromise par l'usage, très sérieux, d'un philosophe fantaisiste dont les propos sont à peu près aussi raisonnables que les théories de Jean-Marie Bigard sur le 11 septembre (respect, Jean-Marie).
Comprenons-nous bien, ce n'est pas un épisode dramatique : ça arrive à tout le monde d'aller chercher des citations sur Google pour impressionner son lectorat, même si en général on s'arrange pour vérifier que le contexte de la citation colle avec ce qu'on veut dire. Le faire dans le cadre d'un "manuel pour âges obscurs, où l'auteur "abat son jeu" et dispose, chemin faisant, les pierres d'angle d'une métaphysique à venir", c'est un cran plus loin dans le ridicule, mais ça reste un micro-évènement. Cette histoire ne justifiait donc a priori aucun déferlement de lolisme tel que constaté.
Seulement voilà, BHL dispose, pour des raisons qui relèvent plus de l'amitié et de l'obligeance que du talent véritable, d'un espace incommensurable dans les médias, et si cette gigantesque caisse de résonance lui sert d'habitude à vendre au kilo ses bouquins creux et sa pensée sans grâce, elle se retourne pour une fois contre lui, ce qui n'est pas pour déplaire à tous ceux qui le subissent depuis de longues, longues années.
On aurait pu en rester au stade, gouteux, de l'arroseur arrosé, et les premières réactions de l'auteur ("je me suis bien fait avoir", "bravo au créateur de Botul" allaient - et c'est tout à son honneur - en ce sens. Seulement voilà : le néophilosophe a des amis. Certains l'auront défendu par un soutien qu'on peut juger naïf et pompeux, mais relativement sobre. D'autres en revanche, sortent l'artillerie lourde du complot et des "heures noires de notre histoire".
C'est le cas de Philippe Boggio, qui m'était absolument inconnu jusqu'à ce matin, et qui s'avère être l'auteur d'une biographie dont la présentation laisse à penser qu'elle n'est pas à charge ("Philippe Boggio a voulu comprendre. De l'intérieur. Depuis l'enfance, qui n'est pas simple. Il a découvert un être étrange, plein de doutes et d'ambivalences, excessif en tout, et que rien ne guérit de ses folles angoisses. Un homme bizarrement fidèle et généreux. Un chercheur d'absolu dont le cynisme n'est peutêtre qu'un masque, le narcissisme un pis-aller, l'esthétisme un acte de désespoir."). Ce dernier a commis hier une tribune sur Slate.fr qui justifie aujourd'hui cet article sur un sujet que j'aurais, autrement, laissé mourir dans les indifférentes poubelles de l'Histoire.
Que dit monsieur Boggio ?
Il dit d'abord que ce n'est pas normal que les attaques sur BHL portent sur la forme (sa luxueuse demeure marocaine, sa chemise ouverte, son omniprésence médiatique) et pas le fond. Concluant par cette péremptoire assertion : "La littérature est une guerre, il l'a assez dit. Personne ne lit personne. Tout est donc affaire de commerce littéraire". Je doute de partager la même vision de la littérature ou de la philosophie que ce triste sire.
Il s'indigne ensuite qu'on reproche encore à BHL ses erreurs passées (qu'il cite : "la polémique sur Daniel Pearl. (...) l'entrée de BHL dans Sarajevo assiégée, et le nombre d'heures qu'il a «réellement» passées sur place. (...) la «véritable date à laquelle il a rencontré le commandant Massoud», au tout début des années 1980"), lui plus qu'aucun autre. Nouvelle assertion péremptoire, ponctuée cette fois d'un premier dérapage : "(...) comme la vie, la littérature doit connaître l'oubli, voire le pardon. Sinon, l'atmosphère est étouffante. Et directement fascisante.". Il me semblait bêtement que l'écriture avait cet avantage d'offrir, contrairement à la parole, une certaine durée à son objet. Erreur : lire des livres, et en retenir les failles, c'est fasciste. Tu aimes mon livre, ou alors tu fermes ta gueule, facho.
C'est ici, et tardivement, que s'infléchit le discours de cet "ami". Il s'appesantit sur la richesse de BHL, qui serait (évidemment) l'unique raison de son discrédit récent (affaire Botul) ou plus ancien (Bourdieu, Deleuze...). J'ai toujours eu beaucoup d'admiration pour les gens capables de pointer la déconsidération dont souffrirait BHL alors même qu'il entretient de longues et fructueuses amitiés avec tout ce que le pays compte d'éditorialistes en cour et de puissants, politiques, économiques, ou médiatiques.
Mais c'est dans le dernier paragraphe, que je retranscris ici, que s'abandonne Boggio à cet exercice misérable, méprisable, répugnant, qui consiste à discréditer tout adversaire en lui apposant le sceau de l'infamie.
"Ces deux livres-ci, le petit et le gros, et la manière véhémente qui les salue sont, il faut le savoir, la dernière étape avant l'ignominie. Compte tenu de l'état de la société, de ses besoins de lynchage, de sa passion pour les oukases médiatiques, la prochaine fois, au prochain livre, internautes, lecteurs ou critiques, quelques-uns ne se retiendront plus. Bernard-Henri Lévy, ce juif..."
Jusqu'alors personne, PERSONNE, n'avait mentionné ne serait-ce qu'au détour d'une phrase perdue dans un torrent de réactions, et à raison puisque ce détail n'a absolument rien à voir avec l'affaire qui nous occupe, la qualité de "juif" de BHL. Mais il faut qu'un de ses fâcheux "amis" le dégaine. Si BHL est critiqué, c'est parce qu'il est juif. S'il est victime d'un "lynchage" (c'est ça), d'une "oukase médiatique" (évidemment), ce n'est pas parce qu'il écrit n'importe quoi dans ses livres et qu'il le présente comme une oeuvre majeure de la philosophie mondiale. Non, c'est parce qu'il est juif, bande d'antisémites.
Philippe Boggio, c'est toi l'antisémite. C'est toi qui use du"juif", juste après le "riche", pour donner à ta démonstration le lustre qu'elle n'a pas. Ce sont des gens comme toi qui perpétuent, sous couvert de le dénoncer, les amalgames nauséabonds qu'on voudrait voir disparaitre.
Philippe Boggio, ta gueule.
lundi 15 février 2010
[Polis] Ta rame et le chaudron magique
Il est des génies politiques que la postérité, austère et cruelle maitresse, ne retiendra pas. D'authentiques visionnaires qui resteront dans l'ombre des siècles, alors que même la soeur (!) de Céline Dion (!) a le droit à son gros quart d'heure de gloire. La vie est une putain et nous sommes ses enfants.
Si ce constat est terrible, il est de notre devoir d'homme de lui opposer, de toute notre âme, une lutte sans merci pour mettre en lumière ces individus exceptionnels qui se voient refuser le piedestal qui leur revient de droit.
Ainsi en est-il de Bruno Beschizza. Tu ne sais pas qui c'est, lecteur ? Que te disais-je plus haut ?
Bruno Beschizza est tête de liste UMP en Seine Saint Denis pour les élections régionales de 2010 (excuse-moi cette extrême précision, mais il est important que les historiens du futur disposent de tout le contexte nécessaire). Il est également policier, et secrétaire général d'un syndicat de policiers portant le joli nom de Synergie Officiers" (que de riantes figures affichées sur leur homepage !). J'aimerais te dire qu'il aime faire du vélo et manger le délicieux pot-au-feu de sa maman le week-end, mais ce sont des détails que même les tentacules insidieux de l'Internet 2.0 ne peuvent me fournir.
Bruno est donc chef de file de la majorité présidentielle dans le département des "quartiers" et des jeunes passablement irrespectueux qui portent leur couvre-chef à visière dans un sens que la morale républicaine réprouve. C'est pas facile. Et pour se démarquer d'une concurrence acharnée, c'est le policier qui a inspiré le candidat : "mec, les gens ont peur, et les gens n'aiment pas avoir peur, alors l'idée, c'est de leur montrer que t'as des idées pour qu'ils aient moins peur". Oh, cette démarche n'est pas neuve, elle tient lieu de politique intérieure à la droite depuis quelques décennies. Mais Bruno n'est pas n'importe quel édile populiste, il a les deux pieds campés sur le terrain, et quand il fait des propositions, c'est du concret. Vois plutôt :
"Dans les transports, systématiquement le soir (il fallait) faire en sorte que les femmes seules aient un accès privilégié dans le premier wagon, qu'il soit sur-vidéoprotégé, pour que les gens se sentent en sécurité"
Humes-tu le puissant parfum de foudre qui flotte dans l'air ?
Bruno s'est appuyé, pour cette brillante proposition, sur plusieurs axiomes empiriquement démontrés :
- Les femmes seules aiment être protégées
- La vidéo-surveillance rassure les gens
- Le premier wagon est proche du conducteur
Un esprit quelconque n'en aurait certainement rien tiré, mais quand Bruno a écrit sur son cahier Clairefontaine à petits carreaux ces trois constats frappés du bon sens, BINGO : une idée.
Des fâcheux, animés d'une jalousie minable qui les déshonore, ont alors souligné que si les femmes seules aimaient être protégées, il existait des petits vieux, des couples inquiets, et même parfois de grands et virils électriciens qui l'aimaient aussi. Le doute aurait pu s'instaurer alors chez Bruno, mais quand on tient une idée pareille, on ne l'abandonne pas au premier détail venu.
"On m'a mal compris, ce wagon ne serait pas “réservé” aux femmes, mais à toutes les personnes qui veulent être protégées. Pour moi, la femme est l'exemple de la personne la plus vulnérable, mais elles n'ont pas l'exclusivité de la vulnérabilité. Un ado de 15 ans, qui a peur, pourrait aussi y accéder…"
Alors les fâcheux, les jaloux, vous êtes calmés non ?
Fonce, Bruno, fonce, t'es un champion.
Nous passerons amicalement sur la mention de la femme comme "la personne la plus vulnérable", ne nous embarquons pas dans un procès du paternalisme old-school qui enfonceraient les portes ouvertes comme un bataillon de CRS une manifestation d'étudiants. Réfléchissons, pour prendre un peu d'avance sur Bruno, sur les modalités d'application de cette idée lumineuse.
D'abord, il y aurait un agent (de police, de la RATP,...) à l'entrée de la rame qui contrôlerait les entrants. "Tu veux être protégé ? T'es sûr ? Ok, tu rentres", "Wowowo, tu me parais en bien bonne santé toi. T'es sûr que tu souhaites qu'on te protège ? T'es un peu une tafiole non ?", etc. Outre qu'en heure de pointe, un tel filtrage peut vite devenir funky, risque de se poser un problème de taille : comment faire s'il n'y a plus de place ?
Première proposition : faire une première rame plus grande, pour que plus de gens qui souhaitent être protégés puissent être protégés. Ou mieux : un métro en une seule rame, très longue. Comme ça tout le monde peut monter.
Autre suggestion : trier. Si une femme (fragile) enceinte (très fragile) et en mini-jupe (donc sujette à des menaces de type attouchements sexuels répréhensibles) se présente devant la rame pleine, il est nécessaire d'en faire descendre un individu certes assoiffé de protection, mais moins menacé. Par exemple l'adolescent de 15 ans mentionné à titre gracieux par Bruno, mais qui de toute façon n'a rien à faire dans le métro à son âge, t'es pas au courant pour le couvre-feu ?
Enfin ne nous attardons pas sur ce problème, puisque des solutions existent...Aux angélistes irrationnels qui chipotent, Bruno a déjà une réponse toute faite : "Vous savez, la politique, ça peut être des mesures de bon sens, lisibles par tout le monde, pas besoin d'être bac +25". Ok ?
Je m'autorise alors une dernière remarque, lisible et de bon sens : une fois la distinction faite entre les personnes à protéger et les autres, qu'adviendra-t-il de ces dernières ?Si ce constat est terrible, il est de notre devoir d'homme de lui opposer, de toute notre âme, une lutte sans merci pour mettre en lumière ces individus exceptionnels qui se voient refuser le piedestal qui leur revient de droit.
Ainsi en est-il de Bruno Beschizza. Tu ne sais pas qui c'est, lecteur ? Que te disais-je plus haut ?
Bruno Beschizza est tête de liste UMP en Seine Saint Denis pour les élections régionales de 2010 (excuse-moi cette extrême précision, mais il est important que les historiens du futur disposent de tout le contexte nécessaire). Il est également policier, et secrétaire général d'un syndicat de policiers portant le joli nom de Synergie Officiers" (que de riantes figures affichées sur leur homepage !). J'aimerais te dire qu'il aime faire du vélo et manger le délicieux pot-au-feu de sa maman le week-end, mais ce sont des détails que même les tentacules insidieux de l'Internet 2.0 ne peuvent me fournir.
Bruno est donc chef de file de la majorité présidentielle dans le département des "quartiers" et des jeunes passablement irrespectueux qui portent leur couvre-chef à visière dans un sens que la morale républicaine réprouve. C'est pas facile. Et pour se démarquer d'une concurrence acharnée, c'est le policier qui a inspiré le candidat : "mec, les gens ont peur, et les gens n'aiment pas avoir peur, alors l'idée, c'est de leur montrer que t'as des idées pour qu'ils aient moins peur". Oh, cette démarche n'est pas neuve, elle tient lieu de politique intérieure à la droite depuis quelques décennies. Mais Bruno n'est pas n'importe quel édile populiste, il a les deux pieds campés sur le terrain, et quand il fait des propositions, c'est du concret. Vois plutôt :
"Dans les transports, systématiquement le soir (il fallait) faire en sorte que les femmes seules aient un accès privilégié dans le premier wagon, qu'il soit sur-vidéoprotégé, pour que les gens se sentent en sécurité"
Humes-tu le puissant parfum de foudre qui flotte dans l'air ?
Bruno s'est appuyé, pour cette brillante proposition, sur plusieurs axiomes empiriquement démontrés :
- Les femmes seules aiment être protégées
- La vidéo-surveillance rassure les gens
- Le premier wagon est proche du conducteur
Un esprit quelconque n'en aurait certainement rien tiré, mais quand Bruno a écrit sur son cahier Clairefontaine à petits carreaux ces trois constats frappés du bon sens, BINGO : une idée.
Des fâcheux, animés d'une jalousie minable qui les déshonore, ont alors souligné que si les femmes seules aimaient être protégées, il existait des petits vieux, des couples inquiets, et même parfois de grands et virils électriciens qui l'aimaient aussi. Le doute aurait pu s'instaurer alors chez Bruno, mais quand on tient une idée pareille, on ne l'abandonne pas au premier détail venu.
"On m'a mal compris, ce wagon ne serait pas “réservé” aux femmes, mais à toutes les personnes qui veulent être protégées. Pour moi, la femme est l'exemple de la personne la plus vulnérable, mais elles n'ont pas l'exclusivité de la vulnérabilité. Un ado de 15 ans, qui a peur, pourrait aussi y accéder…"
Alors les fâcheux, les jaloux, vous êtes calmés non ?
Fonce, Bruno, fonce, t'es un champion.
Nous passerons amicalement sur la mention de la femme comme "la personne la plus vulnérable", ne nous embarquons pas dans un procès du paternalisme old-school qui enfonceraient les portes ouvertes comme un bataillon de CRS une manifestation d'étudiants. Réfléchissons, pour prendre un peu d'avance sur Bruno, sur les modalités d'application de cette idée lumineuse.
D'abord, il y aurait un agent (de police, de la RATP,...) à l'entrée de la rame qui contrôlerait les entrants. "Tu veux être protégé ? T'es sûr ? Ok, tu rentres", "Wowowo, tu me parais en bien bonne santé toi. T'es sûr que tu souhaites qu'on te protège ? T'es un peu une tafiole non ?", etc. Outre qu'en heure de pointe, un tel filtrage peut vite devenir funky, risque de se poser un problème de taille : comment faire s'il n'y a plus de place ?
Première proposition : faire une première rame plus grande, pour que plus de gens qui souhaitent être protégés puissent être protégés. Ou mieux : un métro en une seule rame, très longue. Comme ça tout le monde peut monter.
Autre suggestion : trier. Si une femme (fragile) enceinte (très fragile) et en mini-jupe (donc sujette à des menaces de type attouchements sexuels répréhensibles) se présente devant la rame pleine, il est nécessaire d'en faire descendre un individu certes assoiffé de protection, mais moins menacé. Par exemple l'adolescent de 15 ans mentionné à titre gracieux par Bruno, mais qui de toute façon n'a rien à faire dans le métro à son âge, t'es pas au courant pour le couvre-feu ?
Enfin ne nous attardons pas sur ce problème, puisque des solutions existent...Aux angélistes irrationnels qui chipotent, Bruno a déjà une réponse toute faite : "Vous savez, la politique, ça peut être des mesures de bon sens, lisibles par tout le monde, pas besoin d'être bac +25". Ok ?
Tous les êtres humains naissent et demeurent libres et égaux en dignité et en droits, nous dit la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, qu'on gagnerait à connaître par coeur même quand on n'est pas bac+25.
Libres et égaux en droits, mais dans le métro on va s'arranger. Forza UMP.
lundi 8 février 2010
Burqaholic
Je me complais, ces derniers temps, dans un silence qui pourrait te laisser penser, lecteur singulier, que l'actualité me laisse froid comme le cadavre du PSG. Ce serait une erreur : je bouillonne, mais cette ébullition s'accompagne désormais d'une prudence qui confine à la pusillanimité. Par ailleurs, j'écris moins souvent, mais des mots plus longs, question de quotas.
Je voudrais donc te dire tout le mal que je pense tout du débat sur le voile intégral, débat moisi où chaque prise de position se fait en équilibre instable entre la juste morale républicaine et la sourde islamophobie. Après le vilain contre-feu bessonien de l'identité nationale, il n'est par ailleurs aucun doute que si le sujet tombe sur le tapis (persan) c'est moins par préoccupation laïque que pour occuper le chaland en attendant des jours meilleurs de croissance à deux chiffres. Lancé dans ces conditions, une telle polémique accouche rarement de sains infants, mais on est ici dans un cas d'école qui mérite d'être évoqué.
Sachons avant tout de quoi on parle : je recommande à ce titre, et même si ça fait plouc 2.0, l'article de wikipedia consacré au sujet. On y apprend que la nature du voile (hijab) n'est pas si évidemment islamique, et que son port n'est pas, ou pas seulement, un signe de dévotion. On y découvre également ses variantes, du tchador iranien (qui ne couvre que les cheveux) à la célèbre burqa afghane. Riche de cette lecture on peut se lancer, avec circonspection et des bottes à clous, sur le terrain glissant du "débat" qui agite nos actualités.
Celui-ci concerne officiellement le port du voile dit "intégral", c'est à dire dissimulant en plus du corps le visage de la femme qui l'arbore. Néanmoins, la récente polémique née de la présence sur une liste NPA d'une jeune femme affublée d'un tchador (qui, si tu suis lecteur, ne cache que les cheveux) semble indiquer que le problème est plus général, et que c'est le voile islamique dans son ensemble qui est sous le feu des projecteurs, et des députés à la gâchette facile.
Avant d'aborder les remèdes préconisés par nos hommes politiques, penchons-nous sur le problème que pose cet accessoire.
Le voile est-il un symbole d'oppression de la femme ?
Le Coran et ses exégètes justifient son port par la pudeur, par la nécessité de ne pas éveiller de désir illégitime chez ceux qu'elle croise. Qu'il cache les cheveux, le visage, ou la femme toute entière ne change pas son principe initial, mais reflète simplement le degré de paranoïa et d'extrémisme de ses prescripteurs. Comme le dit fort justement Mélenchon, cela revient à définir avant tout la femme comme un objet de prédation sexuelle, qu'il faut préserver et/ou réserver à son juste propriétaire. On a connu plus féministe comme position.
Mais si le voile intégral est un indiscutable symbole d'aliénation paternaliste, il faut aussi comprendre qu'il peut être vécu comme libérateur. La femme d'aujourd'hui, en France, n'est certes plus définie comme objet sexuel, mais nier cette assimilation relève du négationnisme : elle est nue dans les pubs, on lui martèle la beauté comme synonyme de bien-être, et il suffit de suivre les regards d'homme partageant une rame avec une femme en décolleté pour comprendre que les relations homme/femme ne sont pas tout à fait exemptes d'une tension sexuelle qui peut devenir pénible pour la désirée. Le voile, qui soustrait au regard et prive l'autre de l'inévitable jugement "esthétique", peut donc s'avérer apaisant plutôt qu'opprimant. Attention, je ne légitime rien. Constater le mal-être féminin ne revient pas à approuver la solution expéditive qu'adoptent certaines. La libération de la femme est loin d'être achevée, et c'est dans ce sens là plutôt que dans un retour à l'enfermement, même symbolique, que se trouve la juste réponse à ce malaise. Un paramètre à prendre en considération avant de ranger celles qui le portent parmi les dévotes ou les provocatrices.
Une fois admis que le voile, si intégral soit-il, n'est pas tout à fait assimilable à l'excision ou la lapidation des femmes adultères en terme d'obscurantisme phallocrate, nous devons nous poser une seconde question :
Le port du voile est-il compatible avec la République Française ?
La République Française, rappelons-le puisqu'on lui fait l'honneur des majuscules, se revendique "indivisible, laïque, démocratique et sociale". Indivisible, certes, démocratique et sociale, c'est pas le moment, mais laïque, ah oui, voilà qui nous intéresse.
On a trop souvent tendance à confondre (et moi le premier), la laïcité avec l'anticléricalisme ou l'athéisme, ce qui est inexact. La laïcité, qui sépare l'Église et l'État (ou plus généralement le civil et le religieux), prône la liberté de conscience, et met sur le même plan le croyant (chrétien, juif, musulman, bouddhiste, scientologue, etc.) et le mécréant (comme moi, par exemple). Ainsi, elle ne s'oppose pas, loin de là, à la religion, mais la rejette hors de la sphère publique et particulièrement politique. Voilà pour les grandes lignes. Concernant le voile islamique, le problème repose donc sur deux aspects : son caractère religieux, d'abord, et le cas échéant, sa légitimité dans l'espace public.
Pour le caractère religieux, il est indéniable. Même les femmes qui ont recours pour d'autres raisons que le prosélytisme (voir plus haut) ne peuvent ignorer qu'il s'agit d'un symbole islamique, au même titre qu'un homme qui porterait la kippa "parce que ça cache la calvitie" ne pourrait en ignorer le caractère juif. Le fait d'occulter le visage, dont viennent les comparaisons avec les cagoules ou les "masques de Mickey" (merci Frédéric, tu es grand), est au mieux une circonstance aggravante, mais reste marginal. Jean-François Copé expliquant à une emburquée que le problème vient surtout du fait qu'il ne peut pas voir son sourire est donc légèrement à coté de la plaque, à moins qu'il s'agisse simplement - mais je n'ose lui prêter de telles intentions - d'une manœuvre électoraliste destinée à noyer le poisson islamophobe dans la soupe de mièvrerie (je renvoie accessoirement vers la chronique de Didier Porte, de France Inter, sur le sujet, et vais dans son sens : cette pauvre fille avait besoin d'un psy, pas d'un député UMP moraliste).
Nous restons donc avec un voile d'une main, et un espace public de l'autre. La loi (de 2004), qui n'est pas la moitié d'une imbécile, nous dit assez clairement qu'il est interdit d'arborer dans les établissements (publics) d'enseignement primaires et secondaires tout vêtement ou objet "manifestant ostensiblement une appartenance religieuse". Cette loi, créée à l'occasion d'une polémique (déjà) sur le voile à l'école ne concerne pas que les musulmans : un turban sikh, ou une kippa, sont autant de "signes ostentatoires" sanctionnés. En cela, elle répondait à l'injonction républicaine d'une éducation laïque censée former des citoyens égaux, et dont la religion relève et relèvera du domaine purement privé.
Nous parlons ici d'établissements scolaires, sous l'autorité de l'État qui, rappelons-le une dernière fois, est totalement indépendant de l'Église. Cette loi avait donc un sens, comme elle en aurait un dans tout établissement public : une administration, un hôpital, etc., avec une moindre criticité certes puisqu'en opposition moins frontale avec le rôle de ces établissements qu'une école (quoique l'hopital...).
Une loi ne s'impose cependant qu'à partir du moment où se multiplient les cas d'opposition frontale entre les principes fondateurs de la République et un comportement particulier (ici la manifestation d'appartenance religieuse). C'était le cas pour le voile à l'école, est-ce le cas pour la burqa aujourd'hui ? Symboliquement, on pourrait le penser, même si les cas sont rares, sur-médiatisés, et qu'on peine à démêler le véritable sens de cette petite pluie de prisons textiles qu'on rattache à mon avis trop systématiquement à l'intégrisme.
Seulement voilà, cette polémique tombe après les dérapages verbaux de plusieurs ministres, après un référendum suisse débile auquel le président de la république (sans majuscule cette fois, il est si petit) a fait l'honneur d'une tribune dans le Monde, après maints anathèmes islamophobes à base de "ils sont partout", "ils nous envahissent", "et les vraies valeurs de la France chrétienne". On peut donc légitimement supposer qu'il s'agit moins de défendre, même symboliquement, la laïcité menacée que de pourfendre du musulman en brassant du vent phobique autour de quelques cas particuliers. C'est une tradition sarkozyste, que de légiférer dès que ça peut rapporter quelques points de sondage, mais les motivations républicaines, les pauvres, sont bien loin.
Moralité : je suis absolument opposé à la burqa dans les lieux publics, mais je ne suis pas convaincu qu'une loi ait d'autre intérêt que de flatter l'imbécile anti-musulman dans ses préjugés. Alors en attendant que toutes les femmes sur le sol français soient délivrées qui de leurs angoisses, qui de leurs aliénations, je propose que nous nous mettions tous tout nus tout le temps : plus d'habits, plus de pudeur. Plus de pudeur, plus de burqa.
Et puis je laisse la conclusion à Jean-Luc Mélenchon, qui est décidément loin d'être un imbécile : "Marcelle a tort de dire que je me laisse engluer dans la critique radicale de la burka. Mais il a raison, mille fois raison, de dire que le fond de l’air est délibérément tourné à l’obsession contre les pratiquants de la religion musulmane. (...) Comment maintenir ses convictions et ses principes sans se prêter au jeu qui en détourne toute la signification. Je rumine"
Je rumine de concert.
PS : quant à la pauvre militante NPA, j'avoue que sa candidature me gratte, mais sans que je puisse justifier cette démangeaison par autre chose que du procès d'intention et du principe mal digéré. J'ai lu récemment qu'aborder sa candidature comme celle d'une femme voilée, c'est la résumer avant tout à sa condition de musulmane. C'est juste, et pas moins intolérable que de résumer Fabius à sa condition de juif. L'ostentation reste avant tout une intention, pas un état de fait.
Je voudrais donc te dire tout le mal que je pense tout du débat sur le voile intégral, débat moisi où chaque prise de position se fait en équilibre instable entre la juste morale républicaine et la sourde islamophobie. Après le vilain contre-feu bessonien de l'identité nationale, il n'est par ailleurs aucun doute que si le sujet tombe sur le tapis (persan) c'est moins par préoccupation laïque que pour occuper le chaland en attendant des jours meilleurs de croissance à deux chiffres. Lancé dans ces conditions, une telle polémique accouche rarement de sains infants, mais on est ici dans un cas d'école qui mérite d'être évoqué.
Sachons avant tout de quoi on parle : je recommande à ce titre, et même si ça fait plouc 2.0, l'article de wikipedia consacré au sujet. On y apprend que la nature du voile (hijab) n'est pas si évidemment islamique, et que son port n'est pas, ou pas seulement, un signe de dévotion. On y découvre également ses variantes, du tchador iranien (qui ne couvre que les cheveux) à la célèbre burqa afghane. Riche de cette lecture on peut se lancer, avec circonspection et des bottes à clous, sur le terrain glissant du "débat" qui agite nos actualités.
Celui-ci concerne officiellement le port du voile dit "intégral", c'est à dire dissimulant en plus du corps le visage de la femme qui l'arbore. Néanmoins, la récente polémique née de la présence sur une liste NPA d'une jeune femme affublée d'un tchador (qui, si tu suis lecteur, ne cache que les cheveux) semble indiquer que le problème est plus général, et que c'est le voile islamique dans son ensemble qui est sous le feu des projecteurs, et des députés à la gâchette facile.
Avant d'aborder les remèdes préconisés par nos hommes politiques, penchons-nous sur le problème que pose cet accessoire.
Le voile est-il un symbole d'oppression de la femme ?
Le Coran et ses exégètes justifient son port par la pudeur, par la nécessité de ne pas éveiller de désir illégitime chez ceux qu'elle croise. Qu'il cache les cheveux, le visage, ou la femme toute entière ne change pas son principe initial, mais reflète simplement le degré de paranoïa et d'extrémisme de ses prescripteurs. Comme le dit fort justement Mélenchon, cela revient à définir avant tout la femme comme un objet de prédation sexuelle, qu'il faut préserver et/ou réserver à son juste propriétaire. On a connu plus féministe comme position.
Mais si le voile intégral est un indiscutable symbole d'aliénation paternaliste, il faut aussi comprendre qu'il peut être vécu comme libérateur. La femme d'aujourd'hui, en France, n'est certes plus définie comme objet sexuel, mais nier cette assimilation relève du négationnisme : elle est nue dans les pubs, on lui martèle la beauté comme synonyme de bien-être, et il suffit de suivre les regards d'homme partageant une rame avec une femme en décolleté pour comprendre que les relations homme/femme ne sont pas tout à fait exemptes d'une tension sexuelle qui peut devenir pénible pour la désirée. Le voile, qui soustrait au regard et prive l'autre de l'inévitable jugement "esthétique", peut donc s'avérer apaisant plutôt qu'opprimant. Attention, je ne légitime rien. Constater le mal-être féminin ne revient pas à approuver la solution expéditive qu'adoptent certaines. La libération de la femme est loin d'être achevée, et c'est dans ce sens là plutôt que dans un retour à l'enfermement, même symbolique, que se trouve la juste réponse à ce malaise. Un paramètre à prendre en considération avant de ranger celles qui le portent parmi les dévotes ou les provocatrices.
Une fois admis que le voile, si intégral soit-il, n'est pas tout à fait assimilable à l'excision ou la lapidation des femmes adultères en terme d'obscurantisme phallocrate, nous devons nous poser une seconde question :
Le port du voile est-il compatible avec la République Française ?
La République Française, rappelons-le puisqu'on lui fait l'honneur des majuscules, se revendique "indivisible, laïque, démocratique et sociale". Indivisible, certes, démocratique et sociale, c'est pas le moment, mais laïque, ah oui, voilà qui nous intéresse.
On a trop souvent tendance à confondre (et moi le premier), la laïcité avec l'anticléricalisme ou l'athéisme, ce qui est inexact. La laïcité, qui sépare l'Église et l'État (ou plus généralement le civil et le religieux), prône la liberté de conscience, et met sur le même plan le croyant (chrétien, juif, musulman, bouddhiste, scientologue, etc.) et le mécréant (comme moi, par exemple). Ainsi, elle ne s'oppose pas, loin de là, à la religion, mais la rejette hors de la sphère publique et particulièrement politique. Voilà pour les grandes lignes. Concernant le voile islamique, le problème repose donc sur deux aspects : son caractère religieux, d'abord, et le cas échéant, sa légitimité dans l'espace public.
Pour le caractère religieux, il est indéniable. Même les femmes qui ont recours pour d'autres raisons que le prosélytisme (voir plus haut) ne peuvent ignorer qu'il s'agit d'un symbole islamique, au même titre qu'un homme qui porterait la kippa "parce que ça cache la calvitie" ne pourrait en ignorer le caractère juif. Le fait d'occulter le visage, dont viennent les comparaisons avec les cagoules ou les "masques de Mickey" (merci Frédéric, tu es grand), est au mieux une circonstance aggravante, mais reste marginal. Jean-François Copé expliquant à une emburquée que le problème vient surtout du fait qu'il ne peut pas voir son sourire est donc légèrement à coté de la plaque, à moins qu'il s'agisse simplement - mais je n'ose lui prêter de telles intentions - d'une manœuvre électoraliste destinée à noyer le poisson islamophobe dans la soupe de mièvrerie (je renvoie accessoirement vers la chronique de Didier Porte, de France Inter, sur le sujet, et vais dans son sens : cette pauvre fille avait besoin d'un psy, pas d'un député UMP moraliste).
Nous restons donc avec un voile d'une main, et un espace public de l'autre. La loi (de 2004), qui n'est pas la moitié d'une imbécile, nous dit assez clairement qu'il est interdit d'arborer dans les établissements (publics) d'enseignement primaires et secondaires tout vêtement ou objet "manifestant ostensiblement une appartenance religieuse". Cette loi, créée à l'occasion d'une polémique (déjà) sur le voile à l'école ne concerne pas que les musulmans : un turban sikh, ou une kippa, sont autant de "signes ostentatoires" sanctionnés. En cela, elle répondait à l'injonction républicaine d'une éducation laïque censée former des citoyens égaux, et dont la religion relève et relèvera du domaine purement privé.
Nous parlons ici d'établissements scolaires, sous l'autorité de l'État qui, rappelons-le une dernière fois, est totalement indépendant de l'Église. Cette loi avait donc un sens, comme elle en aurait un dans tout établissement public : une administration, un hôpital, etc., avec une moindre criticité certes puisqu'en opposition moins frontale avec le rôle de ces établissements qu'une école (quoique l'hopital...).
Une loi ne s'impose cependant qu'à partir du moment où se multiplient les cas d'opposition frontale entre les principes fondateurs de la République et un comportement particulier (ici la manifestation d'appartenance religieuse). C'était le cas pour le voile à l'école, est-ce le cas pour la burqa aujourd'hui ? Symboliquement, on pourrait le penser, même si les cas sont rares, sur-médiatisés, et qu'on peine à démêler le véritable sens de cette petite pluie de prisons textiles qu'on rattache à mon avis trop systématiquement à l'intégrisme.
Seulement voilà, cette polémique tombe après les dérapages verbaux de plusieurs ministres, après un référendum suisse débile auquel le président de la république (sans majuscule cette fois, il est si petit) a fait l'honneur d'une tribune dans le Monde, après maints anathèmes islamophobes à base de "ils sont partout", "ils nous envahissent", "et les vraies valeurs de la France chrétienne". On peut donc légitimement supposer qu'il s'agit moins de défendre, même symboliquement, la laïcité menacée que de pourfendre du musulman en brassant du vent phobique autour de quelques cas particuliers. C'est une tradition sarkozyste, que de légiférer dès que ça peut rapporter quelques points de sondage, mais les motivations républicaines, les pauvres, sont bien loin.
Moralité : je suis absolument opposé à la burqa dans les lieux publics, mais je ne suis pas convaincu qu'une loi ait d'autre intérêt que de flatter l'imbécile anti-musulman dans ses préjugés. Alors en attendant que toutes les femmes sur le sol français soient délivrées qui de leurs angoisses, qui de leurs aliénations, je propose que nous nous mettions tous tout nus tout le temps : plus d'habits, plus de pudeur. Plus de pudeur, plus de burqa.
Et puis je laisse la conclusion à Jean-Luc Mélenchon, qui est décidément loin d'être un imbécile : "Marcelle a tort de dire que je me laisse engluer dans la critique radicale de la burka. Mais il a raison, mille fois raison, de dire que le fond de l’air est délibérément tourné à l’obsession contre les pratiquants de la religion musulmane. (...) Comment maintenir ses convictions et ses principes sans se prêter au jeu qui en détourne toute la signification. Je rumine"
Je rumine de concert.
PS : quant à la pauvre militante NPA, j'avoue que sa candidature me gratte, mais sans que je puisse justifier cette démangeaison par autre chose que du procès d'intention et du principe mal digéré. J'ai lu récemment qu'aborder sa candidature comme celle d'une femme voilée, c'est la résumer avant tout à sa condition de musulmane. C'est juste, et pas moins intolérable que de résumer Fabius à sa condition de juif. L'ostentation reste avant tout une intention, pas un état de fait.
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