C'est un aveu qui me coûte, de ceux qu'on ne fait qu'allongé bien au chaud dans la confidentialité et le divan de cuir d'un psychothérapeute, mais je crois que je n'aime plus Jean-Luc Mélenchon.
Non qu'il s'agisse d'une rupture brutale, d'une crise conjugale finissant dans le sang et les débris, prends tes affaires et dégage je ne veux plus jamais te voir tu me dégoûtes, je suis globalement inapte aux psychodrames passionnels. C'est venu doucement, paisiblement, comme une fleur qui s'étiole et qu'on trouve moins belle.
Parce qu'il était beau, Jean-Luc, avec ses harangues et ses poings serrés, et les tartes aux journalistes idiots qu'il distribuait avec cette vigueur infinie des prophètes habités par la mission divine (où Dieu serait Fidel Castro et l'Eden un goulag, je remercie Jean Quatremer de l'avoir précisé). Il était digne aussi, arc-bouté sur son discours rageur, sur ses indignations de fond ravalées au rang d'amusantes vociférations par un système qui ne veut pas les entendre, habité de cette énergie perpétuelle qu'il opposait à l'indifférence, à la résignation, à la bêtise. C'était l'époque où l'on voyait le courage avant la cravate.
Et puis progressivement ça lui a plu, cette posture d'indigné brutal, de tribun éclatant dont on retient les formules et plus tellement les idées, et qu'on invite pour divertir la ménagère entre deux tournées promotionnelles d'un comique à la mode, d'un acteur à la mode, qui lui taperont dans le dos pour mieux le salir, pour le rendre comme eux, con, satisfait, creux. Bien sûr il dit que c'est voulu, que c'est une stratégie, mais je ne suis pas dupe, Jean-Luc, je vois bien que t'es pas plus fort que le système, que t'es pas suffisamment costaud tout seul pour résister à cette machine à broyer le discours pour en faire de la purée communicante, de la novlangue lobotomisante, à cette machine à transformer la passion en orgueil et la conviction en fatuité.
Alors je ne t'aime plus, plus vraiment, j'en ai marre de te défendre contre toi-même et de justifier tes conneries pour sauver le fond de ta pensée auprès des gens qui doutent de toi. Je ne te pardonne plus tout, et la distance critique rend l'amour insincère.
Du coup, maintenant je t'écoute avant de te croire, et je pense avant d'être d'accord. Mais ça ne m'empêche pas de penser souvent comme toi. et comme je ne suis plus prisonnier de ta défense systématique, c'est d'autant plus facile d'entendre l'homme politique en laissant de côté le trublion.
Et pendant que le trublion sortait son balai, l'homme politique a appelé il y a quelques semaines à un rassemblement le 5 mai, à "une marche citoyenne pour une VIème République et contre l'austérité". Bon, je t'avoue que je m'en fous un peu de ta Sixième République, de tes appels à l'Histoire et de tes majuscules. Plus exactement je pense que c'est trop tôt, et pas le moment pour discuter d'institutions, et que ta volonté de ré-impliquer le quidam dans le jeu politique n'a aucune chance de passer par le sanibroyeur des médias mainstream sans être transformée en machin politicien qu'il n'entendra pas. On en appelle aux citoyens quand on a nourri les hommes et femmes qu'ils sont, tu prends la pyramide de Maslow à l'envers.
Contre l'austérité, par contre, et plus généralement contre cette politique du renoncement, de l'invocation perpétuelle de règles économiques qui seraient immuables et indiscutables, les entreprises font la croissance, la fiscalité est un poids, la flexibilité c'est indispensable, contre le tapis rouge déroulé à la doxa néo-libérale qu'on applique sans nuance depuis quinze ans sans jamais s'interroger sur son bien-fondé, là je veux bien marcher. Et pour qu'on ne me reproche pas de marcher contre, et d'être dans la contestation, je vais marcher pour la sauvegarde des services publics, pour la taxation des pigeons millionnaires qui voudraient qu'on finance les études de leurs enfants avec l'argent des autres, pour un SMIC européen qui empêchera ce dumping salarial intra-UE qu'on ne gagnera jamais face à la Chine, au Bangladesh et à leurs usines mortifères, pour les 35h, voire les 32, voire les 25h de travail hebdomadaire puisqu'il y a 5 millions de chômeurs et cent fois plus d'heures supplémentaires payées chaque année, pour le droit du travail, pour qu'on laisse tranquille les sans-papiers, les musulmans, les homosexuels, que ceux qui vivent en France y restent parce qu'on y est bien et pas parce que les impôts y sont moindres ou qu'ils ont échappé à la police des frontières.
J'irai marcher malgré ton mot d'ordre confus, malgré ton "coup de balai" un peu con, parce que je crois qu'on croie aux mêmes choses, et qu'on dénonce les mêmes solutions que ce gouvernement applique à l'identique du précédent passés les beaux discours et les symboles sociétaux. Et je marcherai d'autant plus quand je vois ces tartuffes de socialistes tortiller du cul devant ton "coup de balai" et expliquer la bouche en cul (oui ça fait beaucoup de culs) de poule qu'ils ne viendront pas parce qu'ils sont d'accord avec le fond mais pas avec la forme. Pardonnez-moi monsieur Jean Moulin, on voudrait bien vous aider à résister mais on aime pas trop comment vous parlez aux allemands, et je godwin pour ne pas faire plus brutal.
Ça fait vingt ans qu'ils barbotent dans un parti qui fait l'inverse de ce qu'ils disent, de ce qu'ils pensent, et ils se réfugient derrière des pudeurs de jeunes filles pour sauver les apparences, un fauteuil, ou je ne sais quoi. Je ne vous comprends pas, socialistes Emmanuel Maurel, Jérome Guedj, Gérard Filoche, vous avez un cerveau et des tripes avant une carte de parti, me semble-t-il, et si vous changiez les choses de l'intérieur ça se saurait, votre aile gauche ne bat pas plus que celle d'un papillon. Et on n'a plus le temps d'attendre la tornade.
J'irai marcher, et il fera moche, et on sera douze, mais nous on aura la conscience tranquille.